“Il n’y a pas de raison tactique d’empêcher l’islamisme radical de s’exprimer”

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Saïd Sadi a depuis quelques années déjà amorcé un virage à 180° que les plus fidèles n’arrivent pas à saisir encore. En effet, c’est avec l’épisode du kidnapping de son militant Amar Amenouche, que le chef du RCD a décidé de prendre pour cible le Département de renseignements et de sécurité (DRS). A cette époque, et sans apporter aucune preuve, il avait accusé cette institution d’avoir enlevé, torturé et voulu utiliser Amar Amenouche pour l’assassiner lui-même. Ensuite, il y a eu cet avocat également militant du RCD, qui aurait été agressé au niveau du parking de l’hôtel Aurassi, toujours par des agents du DRS. Cet avocat avait exhibé à la “Une” de l’un de nos confrères son pantalon lacéré à coup de cutter sans que lui-même n’ait été blessé. Après cela, il y a eu la rocambolesque histoire de la rue Tanger, dans laquelle un autre militant de Saïd Sadi aurait été agressé dans le logement de ses parents, et dont les agresseurs ne seraient que des agents du DRS. Après ces déboires “personnelles et individuelles”, le chef du RCD peaufine la stratégie et accuse une institution relevant du ministère de la Défense nationale, d’avoir truqué l’élection présidentielle de 2004 et le référendum du 29 septembre dernier portant sur la charte pour la paix et la réconciliation nationale. Il est peut-être utile de rappeler que les “héros”, qui ont échappé aux supposées agressions, se sont volatilisés. Amar Amenouche, de Azazga, vit actuellement à l’étranger — en France plus précisément — auprès de laquelle il a fait valoir “la menace de mort” qui pèse sur lui pour obtenir ses papiers, tout comme le “lacéré de la rue Tanger”. Quant à l’avocat, il a disparu de la circulation politique. Dans l’ interview accordée au journal Le Monde, le chef du RCD n’en démord pas. Evoquant le référendum du 29 septembre dernier, il déclare que “l’Algérie profonde n’a pas voté, c’est une nouveauté. La mécanique des services spéciaux algériens n’a pas marché”. Et d’ajouter : “Tant qu’on n’aura pas réglé le problème du DRS, qui est le cœur du pouvoir, l’Algérie ne s’en sortira pas”. Ainsi, pour le chef du RCD, ce n’est ni l’intégrisme, ni les problèmes économiques, ni le retard technologique et encore moins la difficulté pour notre pays à se faire une place dans la dynamique de globalisation, qui menacent le destin national, mais une institution sous tutelle du ministère de la Défense. Sadi le confirme plus loin dans l’interview où il signe un quitus aux islamistes radicaux, les intégristes.“Restez-vous hostile à un règlement politique qui prendrait en compte l’islamisme ?” Telle est la question de la journaliste Flaurence Beaugé.“Ce que je pense, c’est que l’on ne peut pas à la fois brandir le kalachnikov et réclamer de concourir dans un jeu politique légal. Reste que l’islamisme radical est, à mon sens, minoritaire dans le pays. Il n’y a donc même pas de raison tactique de l’empêcher de s’exprimer. Bien cadré par la loi, il y a place pour ce courant que, pour ma part, j’appellerais conservatisme”.C’est la réponse de Saïd Sadi.Une telle déclaration a de quoi choquer les militants même de son parti. Ce dernier, qui a longtemps milité pour la laïcité et l’interdiction de création de partis sur une base religieuse, voit son combat renié, voire déjugé par son premier responsable. Le chef du RCD, qui traite le président Bouteflika d’être un allié des islamistes, revendique le droit aux islamistes radicaux de s’exprimer. Bouteflika, qui interdit aux chefs islamistes de refaire de la politique, serait leur allié et Sadi, qui déclare que ce courant a sa place, serait un démocrate.Quand on évoque l’islamisme radical,tout le monde sait que l’on parle de l’ex.fis.Durant l’élection présidentielle de 2004, beaucoup ont été choqués de voir le chef du RCD aux côtés de Abdallah Djaballah. Ce dernier, avec Ali Benflis, était au siège du RCD le soir même même du 8 avril 2004. C’est dire à quel point ces hommes étaient en coordination. Eh bien, en 2005, Sadi a diamétralement changé d’avis. A une question sur El Islah et le MSP, il dira que “les partis islamistes font partie de la clientèle du régime. A ce titre, ils ne peuvent être porteurs d’une contestation politique”. Ainsi Djaballah, qui était il y a seulement une année un allié, est devenu un “client du régime”.Dans sa dérive, Sadi tente d’aller le plus loin possible et faire peur ainsi par ses supposées capacités de nuisance, et va jusqu’à proférer des menaces à peine voilées. En effet, il déclare : “En avril 2004, lors de sa réélection, M. Bouteflika a réussi à provoquer un schisme entre le DRS, qui l’a soutenu, et l’état-major. Il a ensuite éliminé les responsables de l’état-major, mais pas le DRS, qu’il garde à son service comme structure de contrôle de la société. En échange, il lui promet une protection sur la scène internationale. Mais ce n’est pas parce qu’on empêche la justice algérienne de faire son travail qu’on empêchera les investigations internationales”.Le chef du RCD sous-entend que les officiers algériens pourraient être inquiétés par des procédures judiciaires lancées à partir de pays étrangers. Comme il se prévaut de certaines “amitiés” à l’étranger, Sadi suggère qu’il pourrait toucher un mot à ces “amis”. En évoquant l’élimination des responsables de l’état-major, il omet de dire, si ces responsables militaires avaient à leur tour un candidat qu’ils soutenaient et, le cas échéant, lequel.Pour un ex-candidat par deux fois aux présidentielles, et responsable d’un parti politique, il devrait savoir que l’institution militaire a une existence constitutionnelle. Aigri par ses échecs successifs, il en arrive à courtiser les “islamistes radicaux” qu’il qualifie tendrement de “conservateurs” au détriment du ministère de la Défense nationale.Concernant le volet économique, le docteur évoque la loi de finances établie sur la base d’un baril à 19 dollars, alors qu’il se négocie à 60 et de se hâter de conclure que «cela signifie que les deux-tiers des recettes en devises de l’Algérie sont gérées dans l’opacité la plus totale». S’il est admis par tous que l’on peut contester cette indexation à 19 dollars, le chef du RCD sait très bien comment se fait la gestion de la différence. Il sait qu’il existe un chapitre appelé «Fonds de régulation des recettes». A l’exception de loi de finances complémentaire de 2002, pour laquelle le baril de pétrole a été indexé sur la base de 22 dollars le baril, la traçabilité des recettes différentielles est assurée par ce fonds. Des observateurs avertis estiment que cette sortie du chef du RCD, outre qu’elle reflète une lutte entre groupes d’intérêts, constitue un gage sérieux de Sadi dans son entreprise de rapprochement du FFS.

Chérif Amayas

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