Succès à valeur discutable

Partager

Le sentiment le plus partagé par rapport aux différents examens qui ont sanctionné la vie scolaire des élèves est que, au lieu de nous donner de l’assurance-par les chiffres honorables qu’ils déclinent pour l’ensemble des paliers-, les résultats de ces examens sont, au fond, destinés à nous inquiéter par la légèreté du sens pratique qu’ils contiennent et par la manière même dont ils sont obtenus. Cela est valable aussi bien pour le cycle primaire que pour les cycles moyen et secondaire. Ces résultats, trop politisés par ailleurs, sont, en tout cas, loin de pouvoir rendre compte de la santé pédagogique de nos institutions administratives. Ils sont logiquement censés interpeller les pouvoirs publics et tous ceux qui s’attachent encore à une formation de qualité capable de faire insérer les jeunes diplômés dans le monde du travail. Un éditorial arboré par un quotidien pour relativiser la valeur du mythique baccalauréat a, à juste titre, intitulé sa chronique: “Bac plus rien”. Il n’y a sans doute rien d’exagéré dans cette tirade lorsqu’on constate l’embarras dans lequel les notes obtenues par les bacheliers mettent ces derniers pour pouvoir accéder à la filière désirée; et, surtout, lorsqu’on considère le degré de préparation de l’élève- sur le plan du volume des connaissances, du background engrangé et des réflexes pédagogiques acquis-à affronter le monde universitaire dans toute sa complexité. Les résultats de cette “inadaptation», issus des errements de l’école algérienne sont déjà visibles chez les ‘’contingents’‘ de diplômés de l’université qui se résignent souvent à la situation de chômage prolongé ou d’emplois d’attentes (DAIP). Ayant, depuis les années 1990, pris conscience de cette situation ubuesque où l’on se prend et se perd à mentir à soi-même, des milliers de parents d’élèves, y compris parfois de modestes fonctionnaires, se sont résolus à se ‘’saigner aux quatre veines’’ pour inscrire leurs enfants dans des écoles privées afin d’espérer donner un autre destin à la formation de leur progéniture et surtout à son avenir professionnel. Au lieu que les pouvoirs publics l’encadrent convenablement sur le plan réglementaire (fiscalité hygiène et sécurité), cette école privée a été stupidement prise dans le collimateur du ministère de l’Éducation au milieu des années 2 000, et elle fut présentée comme un ogre ou une institution ‘’rebelle’‘ lorsqu’elle a essayé d’innover son enseignement sur le plan pédagogique. Si l’on est tenté de faire d’elle la copie conforme de l’école publique- comme le suggérait la politique du ministère pendant la ‘’campagne’‘ qu’il avait menée contre les écoles privées au point d’en fermer deux au milieu de l’année scolaire il y a quatre ans de cela-, l’existence même de l’école privée ne se justifierait pas. En réalité ces établissements constituent une réponse franche à la volonté de laisser l’école publique s’enfoncer dans une déliquescence historique faisant d’elle une machine à fabriquer des chômeurs. La mise à nu du système éducatif algérien a commencé à ‘’crever les yeux’’ suite à la libéralisation de l’économie- qui induit des besoins nouveaux en personnel qualifié- et aux restrictions drastiques ayant affecté la Fonction publique en matière de recrutement. Pour un salaire de misère mobilisé dans le cadre du pré-emploi, des pots-de-vin ont été versés pour l’obtention de ces postes précaires dans certaines wilayas, tout en sachant que des entreprises privées souffrent d’un déficit en cadres, mais qu’elles n’arrivent pas toujours à dénicher chez les diplômés de l’université. Dans une situation sociale et économique comme celle que traverse l’Algérie, caractérisée par une coûteuse et hypothétique transition vers le système libéral, l’on serait assurément mal fondé à continuer de former des licenciés, des ingénieurs et des médecins chômeurs. Les termes de l’équation, identifiés depuis longtemps par les experts et les managers de l’économie, sont ceux inhérents au déficit d’adéquation entre le système d’enseignement et le nouveau marché du travail. Cette dernière notion a, le marché du travail, a, il est vrai, fait défaut par le passé du fait que l’ensemble des diplômés avaient leurs débouchés pris en charge par l’État, principal employeur du pays.

Pifomètre et navigation à vue

Ce genre de préoccupations, un certain moment mises en bandoulière par les décideurs du pays, à commencer par le président de la République, semblent aujourd’hui non seulement oubliées, mais, pire, elles sont promises à recevoir des solutions bancales, voire complètement en déphasage par rapport aux enjeux auxquels fait face la société et le pays. Que peut valoir le recrutement d’enseignants retraités et d’étudiants en fin de cycle pour assurer des cours de français dans les wilayas où cette matière n’est pas correctement prise en charge, particulièrement le Sud et les Hauts plateaux? Que vaut un baccalauréat amputé d’un pan entier du programme suite à la fameuse décision administrative appelée “Ataba’‘ (seuil)? Les élèves de terminale, confortés par l’inclination du ministère de tutelle à fixer les seuils des cours à réviser selon les difficultés, les grèves et autres perturbations qui affectent le déroulement des cours, ne jurent, à la fin, que par cette stupide “Ataba’‘ au point d’en faire un obsessionnel point de revendication inscrit sur de larges banderoles dans la rue. On a la nette impression que, malgré tous les séminaires, commissions de réformes de l’éducation et autres expertises pertinentes qui ont mis le doigt sur le vrai mal du secteur de l’Éducation dans notre pays, le pifomètre demeure le seul instrument de mesure et le louvoiement la seule stratégie en place. La relation intime et dialectique entre les secteurs de la formation et de l’enseignement, d’une part, et celui de l’emploi, d’autre part, n’arrive pas encore à bénéficier sérieusement de l’attention des pouvoirs publics de façon à rationaliser et harmoniser le rapport entre la qualification et le background universitaire d’une part et les besoins d’une économie émergente d’autre part. Cependant, l’engagement de l’Algérie dans l’économie de marché- étape qualitative supposant compétitivité performance et management moderne- ne peut tolérer davantage les faiblesses, les ahans et les inconséquences d’un système scolaire et universitaire qui est porté à former des chômeurs en puissance. Tant d’inconstance et de navigation à vue de la part de l’administration en charge du secteur ne sont certainement pas faites pour rassurer la population scolaire et les parents d’élèves dans un contexte économique où la formation qualifiante est l’arme la plus efficace pour l’ascension sociale et l’insertion dans le mouvement imparable de la mondialisation. Cette dernière risque, dans le meilleur des cas, de se faire sans les derniers de la classe, et dans la pire situation, contre eux.

Amar Naït Messaoud

Partager