Il est revenu ! Il est là ! Le compositeur de génie, le Beethoven de la musique kabyle : Chérif Kheddam. Après un «exil» artistique de plus de 10 ans, celui à qui la musique kabyle doit ses titres de noblesse, son accession à l’universalité, celui qui a tout donné à la musique algérienne en lui ouvrant grandes les portes de la modernité, de l’immortalité, fait son come-back dans son pays natal. Il est revenu le temps d’un concert. Un concert qui promet d’être mémorable. Le Maestro Chérif Kheddam, animera un concert le 31 octobre prochain à la coupole sur invitation de l’ONCI. Se produire sur scène en Algérie, l’interprète de la célébrissime «Nadia», ne l’a pas fait depuis 1993. Le 3 juillet exactement. C’était à la salle Atlas à Bab El Oued. Un concert en guise d’ «adieu», à l’aube d’une époque de deuil, où l’art, le vrai nous a tourné le dos, en faisant de nous des orphelins inconsolables. Nous qui étions tant abreuvés de mielleuses, envoûtantes, magiques et combien suaves mélodies dont “Da Chrif”, seul avait le secret. Ce concert donc, est celui des retrouvailles. Il est revenu nous bercer, nous consoler et nous faire goûter aux joies simples d’une musique kabyle, à laquelle il a, à force de dur labeur et de persévérance, guidé par une exigence artistique quasi-obsessionnelle, insufflé une fraîcheur nouvelle, salvatrice. Il a réussi à l’arracher à son folklore fossile, à la transcrire, la rénover et lui donner une assise musicale plus rigoureuse, plus moderne et surtout plus ouverte à l’universalité. «En agissant de la sorte, je ne cherche rien d’autre qu’à porter le plus loin possible la musique algérienne, et de la faire partager par le plus grand nombre d’adeptes possible», a-t-il un jour avoué. Ce retour, marquera aussi la célébration d’un demi-siècle d’une carrière. 50 ans de “donation” prolifique et de travail incessant, qui sont aujourd’hui un apport inestimable pour la culture algérienne. Lors de la conférence de presse, avant-hier soir au siége de l’ENTV, c’est un Chérif Kheddam débonnaire, alerte et toujours aussi souriant que nous avons retrouvé. Egal à lui-même, humble et généreux. Le poids des ans et de la maladie, ne semblent entamer en rien son légendaire enthousiasme, et sa disposition à écouter et à se mettre en quatre pour les autres. «J’ai beaucoup donné aux autres, même au détriment de ma personne», reconnaît-il. Et ce n’est pas Nouara, qui viendra le démentir. Chérif Kheddam est resté simple, accessible. La renommée, il semble ne pas s’en soucier. Il s’excusera devant l’assistance de ne pouvoir s’exprimer qu’en kabyle. Comment va sa santé ? «Vous savez, avec la santé on ne peut faire que ce qu’on peut. Mais je vais bien», répond-il. Justement c’est en quête de santé, et pour des soins que Chérif Kheddam, a quitté son pays natal pour regagner la France. «C’est ma santé qui m’a fait émigrer», rappelle-t-il. A quelque chose malheur est bon, serions nous tentés de dire. C’est aussi cette condition physique qui désormais dictera ses projets à venir. «Une tournée après ce concert ? Je le voudrais bien si ma santé me le permet». Il y a quelques années déjà, l’artiste disait : «je continue à travailler, à réaliser toujours quelque chose, tant que je me sens apte à le faire». On n’en attend pas moins de ce monstre sacré de la musique algérienne. Des musiciens de sa trempe, il y’y en a malheureusement pas à la pelle. Depuis le mois de septembre, “Da Chrif” a effectué une tournée à travers les villages et les régions de Kabylie, histoire de se «ressourcer» et de humer l’air revigorant des montagnes. «J’ai fait un tour à radio Soummam à Béjaia, j’ai visité quelques villages», précisera-t-il. Avant d’avouer qu’il acheté de l’huile d’olive à Ath Sidi Brahem.On l’invitera ensuite à se replonger dans ses souvenirs et à les partager avec l’assistance. Particulièrement, ceux datant de l’époque où il était directeur de la Chaîne II, et animateur de la célébrissime émission, «Ighnayen Ouzekka» (Les chanteurs de demain). Comment s’est faite la rencontre avec l’autre grande figure de la chanson kabyle, Lewnis Aït Menguellet, qui a fait ses premiers pas dans cette émission en 1969 ?«Je me souviens de la première fois où il était venu. Je me souviens comme aujourd’hui, de cette belle petite voix. Celle-ci a fait du chemin depuis. Beaucoup de chemin», se remémore l’artiste. Non sans souligner que Aït Menguellet a énormément apporté à la musique kabyle, «surtout sur le plan de la poésie». D’autres grosses pointures sont également passés par l’émission : Idir, Ferhat Mehenni… «La plupart des gens que l’on a encouragés ont réussi à percer», dira-t-il encore. Mais alors que pense-t-il de la jeune génération actuelle de chanteurs ? «Il y a de très belles voix aussi bien ici qu’en France. Mais elles manquent de travail», estime-t-il. Et de prodiguer ses précieux conseils, qui sont sûrement tombés dans de bonnes oreilles, celles entre autres de Ferhat, Idir et Aït Menguellet, à leurs débuts : «Il faut se mettre au travail. Allez au conservatoire. Apprenez la musique. Soyez à la hauteur des autres grands chanteurs. Et cessez de dire que celui là est favori et l’autre non». Et de conclure par un «les meilleurs s’imposeront et les autres resteront derrière». «Mazal Lkhir ar zath» (le meilleur est à venir) Apparemment et pour notre plus grand bonheur et celui des passionnés de belles mélodies, Chérif Kheddam, promet de nous réserver de belles surprises avec une pléiade de projets qui verront prochainement le jour. Serions-nous patients jusqu’au bout ? En réponse à notre question sur la quasi-indisponibilité de ses albums sur le marché algérien, “Da Chrif” fera part de la difficulté de faire éditer ses œuvres en Algérie. Une chose apparemment réglée : «nos amis nous aident à faire valoir notre musique». Un nouveau producteur, “Antinea”, prendra en charge désormais l’édition et la distribution des œuvres de Kheddam en Algérie. Son représentant, Tahar Boudjeli, fera part des projets en gestation ou en attente de lancement. Ainsi, il est attendu la sortie d’un DVD et d’un CD audio du concert donné lors de la célébration des 40 ans de carrière de l’artiste, en 1996, au 31 octobre prochain, soit le jour même du concert. Il y a ensuite une série de compilation, dont la sortie est prévue sur une période de six mois, à raison d’une œuvre par deux mois. Et la cerise sur le gâteau, mieux, la cuillérée d’huile d’olive sur le couscous, un nouvel album avec une dizaine de titres. «La musique orchestrale est enregistrée. Il ne reste plus qu’à apposer les voix de l’artiste et celles de la chorale», précisera le producteur. Il y a aussi un DVD retraçant la vie de l’artiste en préparation. Ce n’est pas tout. Le prochain album de Karima sortira dans deux mois. Et bien sûr c’est notre Chérif Kheddam national qui en a composé la musique. On est déjà curieux et impatient de voir ce que ça donne. Le 31 octobre 2005, une date dans les annales de la musique algérienne Le concert de Chérif Kheddam sera à coup sûr un événement. Bien sûr l’artiste lui-même suffit amplement à tenir cette promesse. Mais voilà que d’autres artistes algériens de renom, assure-t-il, seront avec lui sur scène. Qui sont-il ? «Je ne voudrais pas divulguer leurs noms, pour éviter tout désagrément en cas de désistement». Le mystère amplifie à coup sûr l’importance de l’événement. Pour l’orchestre, 9/10 des musiciens, dira “Da Chrif”, sont algériens. Ils seront dirigés par le chef d’orchestre connu et reconnu, Bachir Bradaï. Quels genres de musique seront au menu ? «Ce ne sera pas de la musique classique. Ce n’est pas un orchestre symphonique. Il y aura pas mal de styles. Je dirais que ce sera de la musique méditerranéenne», notera-t-il. Occasion de la célébration du 51éme anniversaire du déclenchement de la révolution algérienne oblige, deux titres ont été prévus, et pour mieux éclairer les présents, pour la plupart profanes en musique «Kheddamienne», le concerné soulignera qu’il a toujours fait une musique à large inspiration des divers et riches styles algériens : constantinois, oranais, sahraoui et autres. «J’ai beaucoup travaillé les mélodies et la voix, le texte un peu moins. Mais je voudrais souligner que jamais je n’ai écrit des textes qui peuvent susciter des reproches par leur contenu», tient-il à affirmer en direction peut être des ces chanteurs “new age” qui érigent l’insipidité verbale en porte-étendard. Quelle est la préférée des chansons de son vaste répertoire ? «Je les aimes toutes. On ne peut dire à un père quel est le préfèré de ses enfants», se contente-t-il de dire. Après le concert d’Alger, Chérif Kheddam se produira sur la scène parisienne, au Zénith, selon son producteur. Rendez-vous donc le 31 octobre à Alger. Un rendez-vous à ne pas manquer …
Elias Ben
Un parcours légendaire pour un artiste hors paiChérif Kheddam est de cette race d’artiste qui ont su sortir des chemins battus, pour aller s’aventurer dans les vastes contrées du génie et de la création humaine. Les territoires défrichés par ce virtuose sont insoupçonnables. Il est le musicien qui a introduit le quart de note dans la musique kabyle. Rien que cela. Pourtant, le jeune Chérif était destiné à épouser une toute autre carrière. Celle de Muezzin, en remplacement de son père. Mais comme les voies du destin sont impénétrables, et les abysses de l’âme humaine insoupçonnés, il en fut autrement. C’est à l’age de 12 ans que Chérif Kheddam quitta sa Kabylie natale, pour travailler à Alger d’abord, puis en France pour se soigner. C’est à l’age de 21 ans qu’il succomba aux charmes envoûtants de la musique arabe, maghrébine et occidentale. «J’ai eu comme maitres Mohamed Bedri, Abderrahmane Aziz, Ahmed Ouahbi et bien sur Slimane Azem», se rappelle-t-il. Et c’est par passion pour cet art qu’il acquiert au début des années 50 un piano et un luth (celui là même qui l’accompagnera pendant plus de 40 ans). Il fera avec ses instruments ses premiers pas dans la musique en composant ses premières chansons. Toutefois, conscient qu’un vrai musicien passe inéluctablement par l’apprentissage et l’écriture de la musique, il prit donc la décision d’apprendre le solfège et la mélodie chez un grand professeur. Il a par ailleurs acquis les bases fondamentales de la musique arabe auprès du célèbre compositeur Mohamed El Djamoussi. Et c’est grâce à l’enseignement de ce dernier que Chérif Kheddam, a introduit le quart de note dans la musique kabyle. Ainsi, ces nouvelles acquisitions musicales lui permirent de mieux construire, élaborer et enrichir ses mélodies et ses compositions. En 1955, il enregistre sa première chanson, «Yellis N tmurtiw» (fille de mon pays). Ce fut là le coup d’envoi d’une fabuleuse carrière artistique riche en expériences diverses, qui le propulsera au firmament de l’art. La suite appartient évidemment à la légende : un répertoire qui s’enrichit d’année en année, des collaborations fructueuses avec de grands artistes, sans oublier le rôle de conseiller et découvreur de futurs talents dans son émission à la Chaîne II. Ses compositions, véritables perles de mélodies et de finesses, sont dignes des plus grands noms de la musique classique. «Nadia», «Lukan Ig Kheddem Oumdhan», «Thulawin», «Lukan itsughal Themzi», «Lemri»… sont autant de melodies qui ont bercé notre existence…Chérif Kheddam est à la musique kabyle ce que Beethoven est à la musique classique : un virtuose et un immortel.
E. B