Par Abdennour Abdesselam
Après que Chikh Aheddad tenta de complexer son hôte en le prenant par sa petite taille, Chikh Mohand ne resta pas passif. Il donnera une réplique vers à vers et suivant la cascade volontairement réductrice du Chikh Aheddad, il lui dira :«Muh at Lhusin ; simmal yettissin ; Rebi d ahnin ; ur ixeddem di tnemmirin.» (Mohand Oulhoucine s’instruit de l’expérience Dieu est clément et ne fait pas dans l’arbitraire et la contrariété.) On remarquera qu’à la forme verbale négative «ur yeqqar» (ne sais pas lire) utilisée par Chikh Aheddad, le Chikh Mohand oppose la forme verbale affirmative «yettissin» (il s’instruit). Cette opposition entre les notions de lecture «yeqqar» (au sens prédication) et du savoir «yettissin» (au sens de recherche) dont il se prévaut, Chikh Mohand l’explique en s’adressant à l’assemblée des khouan présents chez Chikh Aheddad : «Bu tghuri yettfessir, bu rray yesnulfuy.» (Le prédicateur explique mais le chercheur innove). Ainsi, pour Chikh Mohand, la progression réside dans l’effort par l’innovation et la recherche «asennulfu» car pour lui le savoir n’est pas inné il s’acquiert dans le dynamisme des idées, alors que la lecture « taghuri » (au sens prédication) n’est pour le Chikh Mohand que simple répétition. Les louanges rendues à Dieu dans «Rebbi d ahnin, ur ixeddem di tnemmirin» sont lancées à la face du Chikh Aheddad comme pour lui disputer l’interprétation qu’il en fait de Dieu. Chikh Mohand assume sa condition d’illettré en langue coranique mais se sait excellent en langue kabyle d’où il puise tout son savoir : «tamussni» produit de l’effort et le cumul constant des expériences. S’il assume son illettrisme, il ne demeure pas moins blessé en son intérieur pour ce qui est de sa petite taille par laquelle Chikh Aheddad voulait se jouer de lui. Il trouvera la parade en disant : «W’i bghan ad yuzur yirqiq ; w’i bghan ad yesgem yilqiq…» (La finesse est source de grandeur tandis que la mesure grandit la personne). Ici, le Chikh ne fait pas usage simpliste des sens donnés communément à «irqiq» (devenir mince) et à «ilqiq» (devenir courtois). Le raffinement, mais aussi la volonté simultanée de l’emploi de ces deux mots, solidaires dans ce qu’ils proposent comme subtilité est aussi une pratique propre à Chikh Mohand qui fait souvent dans l’image comparée. Les deux premiers verbes intransitifs directement contradictoires et même opposants : «uzur» et «irqiq» donnent la mesure de l’efficacité. En effet plus on est mince et plus on est agile. Les deux derniers : «gem» et «ilqiq» font apparaître l’idée de courtoisie et de correction. Chikh Muhand n’en restera pas là. Le sens ou les sens cachés dans cette parabole sont à chercher dans la circonstance particulière de leur utilisation. Or, la circonstance face au Chikh Aheddad est un haut fait tant les deux hommes sont majestueux par le verbe. Il dira encore à la face du chef de la confrérie Rahmania : «… ma d lqedd, djigh-t i wuffal.» (à quoi bon avoir la taille de la férule). La férule (uffal) est une herbe haute qui vacille au moindre petit courant d’air. La réponse allégorique et imagée, ainsi donnée par Chikh Mohand, a laissé le Chikh Aheddad confus et pantois.
(kocilnour@yahoo.fr)
