Lové au fond d’un vallon encaissé le village Ivouzidene dans la commune d’Ouzellaguen ressemble de loin à une mosaïque d’objets hétéroclites, collés les uns aux autres.
Pour atteindre ce microcosme rural confiné dans une sorte de huis clos communautaire, on emprunte, à partir d’Ighil Oudlès, un hameau voisin, un chemin vicinal qui serpente le relief accidenté de la montagne. Le village Ivouzidene s’ouvre à la convivialité avec une générosité légendaire. Au fond de ses venelles accidentées, une vie paisible s’écoule, déversant ses mains calleuses vers les champs où l’arboriculture et des maraichages de subsistance demeurent les rares survivances d’une agriculture jadis prospère. L’architecture « utilitaire » des constructions en pierre grossièrement taillées, avec maçonnerie en pisé et toiture à deux versants, s’impose à la vue. Quelques lambris cossus, inhabités, voisinent avec de vieilles bâtisses à moitié délabrées, témoins des blessures infligées par la patine et l’oubli de l’homme. Ivouzidene compte parmi les quatorze villages de la commune d’Ouzellaguen, rasés par l’armée coloniale française, quelques mois seulement après la tenue du premier congrès de la Soummam. Des pâtés de maisons demeurent toujours en ruine, étalant au grand jour les stigmates et les meurtrissures causées par la guerre. L’édicule (Tajmaât) en tôle ondulée, qui représentait le cœur, le pouls et l’âme du village, est à présent voué à l’oubli. Il est parmi les rares constructions à avoir miraculeusement échappé aux coups de boutoirs de la soldatesque coloniale. La fontaine publique occupe le centre du village. Un filet d’eau cristalline, d’une extrême douceur, s’écoule d’une large bouche et semble convier à la dégustation. Le liquide est recueilli dans une vasque servant d’abreuvoir au bétail, aujourd’hui presque inexistant. Comme la plupart des villages de montagne, Ivouzidene est confronté au tragique phénomène de l’exode. « Seules quelques familles vivent encore ici », souligne Boualem Bouzidi, journalier de son état ; « tous les autres sont allés s’installer en ville, ils ne reviennent au village que pour passer quelques jours de vacances ou ramasser leurs olives ». Une affaire de survie en somme, que ni le charme ensorcelant de la nature, ni le calme rédempteur de la montagne ne peuvent assurer. Déserté par ses habitants, Ivouzidene sombre dans la décrépitude et la dégradation générale, et se mue progressivement en village fantôme.
N. Maouche

