La Kabylie menacée par une grave régression

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Le drame des incendies ayant affecté le couvert forestier, et même les vergers arboricoles, de la Kabylie, pendant tout le mois de Ramadhan qui fut à cheval sur juillet et août, vient greffer sa part de malaise et d’angoisse à une région déjà bien éprouvée, et vient ajouter sa part de laideur à un paysage lourdement affecté par la régression écologique qui a commencé dès le début des années 1990. Aucun massif n’a été épargné par l’enfer du feu, depuis la forêt de Mizrana surplombant la mer, déjà plusieurs fois martyre, jusqu’aux massifs des Babors (Béjaïa-Jijel), en passant par les deux versants du Djurdjura. Les effets d’un désastre à répétition ont commencé à donner leurs premiers effets dévastateurs, et le plus dur est à venir. Éboulements de terrain en hiver (avec blocage de routes dû aux coulées de boue), envasement de retenues collinaires et de barrages, perte drastique de la fertilité des sols, et d’autres phénomènes environnementaux plus discrets, mais non moins dangereux, tels le dérèglement du régime des eaux, la diminution de l’assimilation carbonique de l’air et le recul de la production d’oxygène. À cela se rajoutent les dégâts économiques pour des foyers de montagne qui sont déjà lourdement pénalisés sur le plan social. Quant à l’aspect esthétique et paysager, sa régression ne fera que renforcer le manque d’attractivité touristique déjà établie pour la région par l’économie rentière et la bureaucratie. Les versants dénudés de Tamgout qui descendent sur Azeffoun, la nudité des flancs de Oued Dass, le paysage lunaire “inauguré’‘ cinq jours avant le mois de Ramadhan à la station de Tikjda, les pics acérés et rocailleux d’Ablat Amellal à Aokas, tous ces lieux ravalés à des sites quasi anonymes, inhospitaliers et disgracieux, étaient, il y a quelques années, des entités vivantes, abritant une flore et une faune les plus riches d’Algérie, laissant couler dans leurs vallées les eaux les plus limpides et cristallines qui soient, et appelant les visiteurs de toutes part, y compris de l’étranger. A-t-on le droit de laisser un tel patrimoine s’évaporer dans la nature et ne pouvoir en parler qu’à l’imparfait? Les citoyens, cette fois-ci, se sentent réellement blessés par un cataclysme qui, en l’espace d’un mois, a transformé une nature plantureuse, paradisiaque et conviviale en un paysage lunaire qui n’inspire que désolation, tristesse, amertume et esprit de révolte. Oui, légitimement, l’indignation s’installe pour chasser l’indifférence. De partout, se sont élevées des voix pour condamner un massacre à grande échelle. En fait, c’est tout l’environnement algérien qui en prend un coup. Le bilan des incendies de forêts établi à la mi- août 2012 fait état de plus de 20 000 hectares de végétation partie en fumée à l’échelle nationale. La majorité des incendies ont eu lieu entre la mi-juillet et la mi-août, ce qui s’explique évidemment par le haut degré de sécheresse du matériel végétal en cette période caniculaire. Aucune région du pays n’a été épargnée par un phénomène qui est en train de prendre les proportions d’une catastrophe écologique qui menace l’écosystème nord-africain. La rive nord de la Méditerranée a commencé il y a quelques années déjà à se plaindre des effets de la désertification de la rive sud. En effet, des pluies chargées de terre et de sable ont eu pour point de chute Rome, Naples, Marseille. L’ampleur des incendies de cette année rappelle celle de 1994 qui a vu les plus belles forêts d’Algérie disparaître de la carte. Le triste et amer souvenir est toujours vivace à Toudja, dans la wilaya de Béjaïa, où des oliveraies centenaires ont été calcinées, des maisons détruites et plus de dix personnes tuées par le feu. Le même désastre vient s’installer cette année sur les monts de Zaccar, à l’Akfadou, à Tikjda, sur les versants du parc de Chréaâ et dans la belle forêt suburbaine de Bouira. Les moyens de lutte contre les feux de forêts se sont avérés dérisoires par rapport à cette noble et obligatoire mission assignés aux pouvoirs publics. L’administration des forêts et les services de la protection civile ont été débordés au point de sacrifier trois de leurs éléments, tués par le feu près de la frontière tunisienne. En subissant ce qui s’apparente à une fatalité estivale, particulièrement au cours des deux dernières décennies, la forêt algérienne enregistre de graves reculs en matière de superficie couverte, de volume ligneux sur pied et, par conséquent, de capacité de protection des sols et de production d’oxygène. Si les pouvoirs publics se sont investis dans la lutte contre la désertification sur le couloir des Hauts Plateaux depuis les années soixante-dix du siècle dernier (l’exemple le plus illustratif est le projet de barrage vert), pour arrêter l’avancée des sables et la stérilisation du sol, les nouveaux défis ramènent les techniciens algériens et les autorités à lutter contre la désertification sur la bande littorale et l’Atlas tellien. Décidément, le défi écologique et l’évolution de la donne environnementale agissent plus vite et plus puissamment que les plans échafaudés par les pouvoirs publics destinés à les contrer.

Amar Naït Messaoud

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