Tigrine, un village aux mille et un secrets

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Il y a des villages qui, de prime abord, donnent l’impression d’être des coins perdus sur terre, tellement la vie y semble ensevelie dans la lenteur et la léthargie quotidiennes.

Mais comme les apparences sont trompeuses, celui qui «creuserait » un peu dans cette apparence morne, trouverait mille et un trésors. Une pierre, un sentier ou un arbre, peuvent être porteurs d’histoires. Dans un coin de la forêt dense des Ath Abbas, par exemple, des historiens affirment que le bachagha Mohamed El Mokrani, alors agonisant suite à une blessure par balle reçue au niveau du front, resta quelques moments au dessus d’un pin avec sa garde et ses soldats…C’est dire que dans les villages rien n’est fortuit et que chaque chose a sa valeur, si l’on regardait de plus près. Le village de Tigrine, sis dans la commune de Boudjellil, qui culmine à 400 m d’altitude et qui est situé à quelque 115 km au sud du chef-lieu de Béjaïa, est l’un de ces patelins qui regorgent de secrets, jalousement gardés par ses « gardiens » invisibles. Juché sur une colline, le village baigne dans une quiétude divine. Ici, le temps semble s’être arrêté.

Un village déserté par ses habitants

Des pâtés de maisons anciennes, construites de pierres sèches, et qui dateraient de plusieurs siècles. Les unes sont en ruines, d’autres tiennent encore debout par on ne sait quel miracle ou génie humain. Ce village est presque déserté par ses habitants, qui sont allés s’installer, ailleurs, dans les villes ou à l’étranger. Tigrine ne fait plus vivre ses enfants comme avant. Ils seraient moins d’une centaine à vivre encore dans ce village, qui du reste est d’une beauté à couper le souffle, tellement il épouse avec harmonie la nature et le ciel. Sa beauté s’est accrue avec la verdure du printemps. Ah si les hommes étaient conscients de la beauté secrète de ce village, personne ne le quitterait… Pour faire un tour de ce village, nous nous sommes fait accompagnés par Bachir, un habitant de Tigrine. La cinquantaine entamée, notre guide, nous fait visiter chaque coin du village. Tajmaât, autrefois lieu de rencontre des villageois pour discuter des affaires du village, est désespérément vide. Seul le vent s’y fait entendre. Bachir soupire : « Les temps ont changé. Avant, les sages prenaient place ici pour régler les problèmes du village…aujourd’hui vous voyez…! ». Autres temps, autres moeurs&hellip,; dirions-nous ! Quelques mètres en bas de Tajmaât, nous nous postâmes à la lisière d’un profond ravin. Impossible de voir le fond. Les figuiers de barbarie entourent cette partie du village. Jadis, ils constituaient une muraille de défense contre les éventuels ennemis, aujourd’hui, ils dépérissent à petit feu, car ne servant qu’à la cueillette des figues de barbarie très succulentes du reste!

Les lions sont passés par là…

Du lieu où nous nous sommes assis, Bachir nous montrait du doigt des crêtes… «Berchiche ! Timegelline, Ighil gouzguer,… ». Il ne manquera pas de citer un coin, qui piqua notre curiosité. « Akoufi guizem », littéralement : « le silo du lion ». Bachir nous dit que d’après ce que racontaient les habitants de générations en générations, ce lieu fut habité par les lions, qui vivaient dans la forêt des Ath Abbas, avant qu’ils ne soient exterminés par des soldats de l’armée coloniale. Voulant voir de près ce coin, Bachir accéda à notre demande. Le sentier qui y mène est d’une étroitesse telle, qu’au moindre faux pas, vous vous retrouveriez au fond du ravin. « C’est d’ici que tomba un homme durant la guerre de libération, alors qu’il tentait de redresser son mulet. On le retrouva au fond du ravin, mort sur le coup. Paix à son âme!», dit Bachir. Quelques minutes plus tard, nous sommes à l’intérieur de « Akoufi guizem ». Un lieu difficile à décrire. On ne sait si c’est un ensemble de dolmens « entrelacés ». ou d’anfractuosités bien façonnées par Dame nature. En tout cas, le lieu est d’une beauté féerique. Cela nous donna la chair de poule, de penser que des lions se prélassaient là. A Taboulguit (ce mot veut dire, en kabyle ancien, le petit sapin!), la placette du village, il y a une fontaine. L’eau ne coule pas mais le bassin est rempli d’eau stagnée depuis des jours. L’eau ne coule pas chaque jour dans les robinets. Le transport public y est inexistant, il faut avoir une voiture pour se déplacer, ou des jambes robustes pour rejoindre Ighil Ali, le chef-lieu de daïra pour faire ses emplettes. Pour ce voyage initiatique à Tigrine, nous sommes sûrs que ce village n’a pas encore livré tous ses secrets, mais nous promettons d’y revenir pour déterrer ses mille et un secrets.

Syphax.Y

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