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La poterie traditionnelle disparaît du paysage

L’artisanat en Kabylie est une affaire fondamentalement familiale. Un legs qu’on se transmet de père en fils ou de mère en fille.

Récemment encore, chaque foyer produisait ses propres poteries, tapis, corbeilles d’osier, coussins, gourdes ou ses bijoux. Tout le monde était, pour ainsi dire, artisan chez lui. La région de Chemini était, par exemple, bien réputée pour la qualité de ses poteries traditionnelles. Un métier de femmes où tout est fait à la main, sans même l’aide d’un tour. Les maîtresses de maison maîtrisant le travail de l’argile et apprennent à leurs enfants les techniques ancestrales.

C’était au printemps que les femmes extrayaient la glaise à laquelle on ajoute des tessons de poteries cassées ou du sable de rivière. Une fois bien séché au soleil et bien pilé avec un maillet de bois, le mélange ainsi obtenu est soigneusement tamisé et bien arrosé. La pâte, bien pétrie, reposera dans un endroit humide deux ou trois jours avant le commencement de la fabrication. Chaque objet prend alors forme sur une planchette pour faciliter son déplacement et son exposition ultérieure au soleil. Les potières travaillaient souvent sur plusieurs objets à la fois, car deux ou trois jours sont nécessaires pour achever une pièce. Après le séchage, les objets sont mis au four en plein air dans un énorme bûcher composé d’écorces de liège, de racines de bruyère et de bouses de vache séchées. Une fois bien cuites, les pièces réussies sont gardées et celles déformées ou brisées sont recyclées. Mais, bien avant d’être mises au four, les poteries sont préalablement enduites d’une terre blanchâtre ou rougeâtre, appelée medloug, puis décorées de dessins géométriques très fins. Pour cela, on utilise des pigments naturels tirés d’une pierre noire, appelée asgou. Frotter sur une pierre avec un peu d’eau pour obtenir une encre noire ou marron, selon les besoins. De petits pinceaux en poils de chèvre fixés dans une boule de boue en guise de manche sont vite fabriqués à cet effet. Des losanges, des carrés, des triangles et des demi-cercles, harmonieusement reliés, forment des motifs complexes qui épousent la forme de chaque ustensile en lui donnant une esthétique complète. Des lignes fines, d’autres foncées, des courbes larges et des angles droits ou pointus s’enchevêtrent pour former des dessins sur une des surfaces d’argile parfaitement lissées avec des coquillages récupérés à la plage. Les femmes façonnent ainsi des gargoulettes pour boire, des assiettes pour manger, de grands plats à couscous, d’autres plus grands pour faire la galette ou pour cuire du pain et même des couscoussières. On réalisait aussi des marmites pour la cuisine, des pots pour le bouillon ou pour traire les vaches, des jarres pour l’huile ou pour l’eau, des tasses pour le petit-lait, des vases de différentes dimensions et des amphores pour stocker les céréales. Les poteries en surplus sont généralement accrochées aux murs. C’était il y a quelques années encore. Aujourd’hui, rares sont les familles qui exercent encore ce joli métier, l’inox, le verre et le plastique ont supplanté les vieilles terres cuites. Néanmoins, il est vrai que, de nos jours, beaucoup de ménages sont tentés par un retour aux sources, mais ils ont tout le mal du monde à trouver la bonne potière pour cela. Et pourtant, rien n’empêche des gens d’en faire, ne serait-ce que leur hobby. La véritable modernité ne peut se concevoir sans une culture authentique.

Mokhtar Djaouti

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