Par Abdennour Abdesselam
Le soulèvement a tout de même eu lieu et les conséquences avaient dépassé les craintes et les appréhensions de Chikh Mohand Oulhoucine. En effet la révolte ne dura pas plus de quelques mois. La Kabylie fut écrasée et humiliée par la machine militaire coloniale exaspérée par sa défaite face à l’Allemagne. Selon l’historien, Amar Ouerdan, plus de 20.000 insurgés mourront durant la terrible guerre. Chikh Mohand ne reste cependant pas inactif. Il ira voir sur les champs de bataille pour rencontrer les hommes engagés dans le soulèvement. Il les trouve dans un état de démoralisation totale. Comme pour s’expliquer encore d’avantage sur son appréhension qui venait d’être malheureusement vérifiée et pour tenter de limiter les dégâts, il dira : « Nekkin’usigh-d d amhaddi ; matchi d amdhaddi ; âuhdedh Rebbi ; zznad ar yundi ; abrid injer i wrumi ; ad iâeddi » (Je viens en protecteur ; et non en adversaire ; par Dieu, la situation est explosive ; nous ne pouvons empêcher la France de passer). La défaite de 1871 ne se mesurait pas seulement en pertes humaines. A la fin de l’insurrection, l’administration coloniale infligera à la Kabylie un lourd impôt des suites de la guerre que Charles Robert Ageron1, dans « Histoire de l’Algérie contemporaine », a estimé à « 36.000.000 de franc-or effectivement perçus ». Bien plus grave encore, les structures sociales de la cité kabyle, jusque là maintenues intactes, tombent une à une. Avant le soulèvement, l’autorité coloniale, en terme de gestion administrative, s’était limitée aux seuls fondements coloniaux tels Dellys, Azazga, Draâ El Mizane, Fort National, Michelet, Bougie, Bouira. Avec la défaite annoncée, cette autorité prolongera ses ramifications jusqu’aux villages. La chaîne naturelle qui animait harmonieusement l’ensemble kabyle, formé de axxam, axerrub, taddart, lâarch et laârach, allait perdre toute initiative dans son fonctionnement, jadis libre et autonome. La nouvelle autorité soumet les chefs de villages (les amin) à la nouvelle administration. Désormais ils seront nommés et désignés Présidents de Djemaâ, c’est-à-dire des fonctionnaires contrôlés. Ce démantèlement de la société kabyle va induire de nouveaux comportements qui ne seront pas sans altérer les bases sociologiques. Dans « Les Isefra, poèmes de Si Mouhand Oumhend » Mammeri note que: « Le sursaut de 1871 fut une tentative épique et désespérée de récupération d’une identité. Le désarroi qui suivit l’écrasement fut, à la mesure de l’enjeu confié à la fortune des armes, immense ». Mohand Ath Mokrane meurt au combat et Chikh Aheddad est fait prisonnier et transféré à Constantine où il trouve la mort quelques jours après sa condamnation par un tribunal militaire. Son fils, Chikh Aziz sera arrêté lui aussi et déporté en Nouvelle-Calédonie d’où il s’évadera pour rejoindre Djeddah. Il revient sur Paris où il meurt en 1895. Son corps sera rapatrié et enterré aux côtés de son père au cimetière d’El Koudia à Constantine. Aujourd’hui leurs cendres reposent pour toujours à Seddouk.
Abdennour Abdesselam
(kocilnour@yahoo.fr)
