Par Abdennour Abdesselam
L’ethnomusicologue, Jacques Cheyronnaud, disait : «En ce qui concerne la chanson, il faut savoir faire distinguer entre le genre et le format. La chanson est un hybride de littérature et de musique». La chanson kabyle est caractérisée par le fait que le texte a la primauté sur la musique. De toute évidence et globalement, le texte est d’abord écrit et reçoit ensuite une musique. La poésie est en soi une chanson. Dans ses travaux de recherches sur la poésie kabyle, Mouloud Mammeri fixe trois périodes évolutives : celle d’avant l’occupation française, c’est-à-dire durant la colonisation turque, celle durant la colonisation française et celle d’après l’indépendance. Cette dernière traite des lendemains qui ont déchanté. Au plan de la recherche et de l’analyse, nous sommes en possession de peu de documents écrits directement dans la langue originelle ou attestés comme tels, qui nous permettent d’aller, en termes d’époque, au-delà du XIV siècle. Plus loin que cette période, les résultats de la méthode conjecturale sont peu sûrs. Avant l’apparition de la colonisation turque, la poésie kabyle va chanter les hauts faits des grands hommes et femmes qui ont marqué l’histoire événementielle de la région. Les rythmes, les sonorités et les images sont vite dépassés par les épreuves de la vie qui ont inspiré les poètes kabyles dans la composition de vers pour y fixer les épreuves vécues, parfois vaincues, souvent subies. Nos poètes ont chanté sous divers tons : les guerres tribales, les résistances, les sacrifices, la joie, la tristesse, les vertus et la souffrance. Ils ont traité des mythes païens, de la famine, des grandes maladies d’époque, des grandes catastrophes naturelles comme la sécheresse, les éboulements et la rudesse des hivers, les ravages causés par les invasions répétées des acridiens etc. La poésie s’offrait aux joutes poétiques, à la chronique de la vie dans la cité aux longs récits se rapportant au domaine religieux, à l’exemple du sacrifice d’Abraham, l’histoire de Joseph, de Moussa et de Aissa. Elle célébrait également le monde des animaux, à l’exemple de tamacahutt n tsekkurt, taqsit n ledhyur ou encore taqsit bbwelghwem et bien d’autre centres d’intérêt autour desquels s’articulait la vie de la cité kabyle, tels les travaux des champs et ceux domestiques jusqu’aux berceuses. Ainsi donc, de 1500 à 1830, une floraison de poèmes a fixé les hauts faits de l’histoire de la région composés par d’éminents poètes à l’image de Youcef Ouqaci et son fils Ali Ouqaci, Mâmmar Ahesnaw, Mouh At Lmesâud et bien d’autres encore qui ont peint la résistance kabyle face à l’empire colonial Turc. C’est dans ces conditions d’une vie affligeante globale que les Kabyles, dira Mammeri, ont fait le choix entre la vie dans l’honneur, quelles que soient les conditions qu’exigeaient les hautes montagnes, plutôt que dans la soumission imposée par les Hilals qui ont envahi l’Afrique du nord au XII siècle.
A suivre.Abdennour Abdesselam