Par Amar Naït Messaoud
La grève des cheminots algériens a quelque peu pénalisé les voyageurs, principalement dans la capitale. Cela est d’autant plus ressenti que les nouveaux moyens de transport, en ville et dans les conurbations, sont renforcés depuis 2010 par le métro et le tramway. Cependant, le mouvement de protestation est loin de bloquer la situation comme cela se passe dans d’autres pays ayant un réseau dense et moderne de chemins de fer. Cette relativisation des problèmes générés par la grève des transports ferroviaires est principalement due à la place encore modeste qu’occupe ce secteur d’activité dans le transport des personnes et des marchandises. Un taux suffit, à lui seul, pour donner une image de cet état de fait. Le Schéma directeur routier et autoroutier (SDRA) a révélé au milieu des années 2000, que la voie terrestre demeure le moyen privilégié des échanges dans notre pays, soit 90% de l’ensemble du volume de marchandises faisant l’objet de transit. Dans le volet transport de voyageurs, la situation est quasiment la même. Le transport par taxis, bus, trolley,… se taille la part du lion.
L’Algérie a hérité de l’administration coloniale un réseau ferroviaire long de 3 900 km. Au vu de la croissance démographique et des besoins économiques et sociaux, ce volume a rapidement perdu de son efficacité. La politique générale du pays, pour des raisons que l’histoire économique et sociale pourra établir un jour dans un bilan exhaustif, n’était pas orientée vers les grandes infrastructures, qu’elles soient routières, ferroviaires ou hydrauliques. Ce n’est que depuis 2000, que de tels créneaux, stratégiques pour l’économie nationale et pour la vie des populations, ont commencé à être pris en charge dans le cadre des plans quinquennaux. Au vu des limites objectives du réseau routier touché par la vétusté des infrastructures, la surexploitation de certains axes techniquement inadaptés et l’inadéquation entre le volume de marchandises transportées et la densité du réseau, d’autres voies ont été explorées en même temps que le développement du réseau routier lequel, d’ici 2025, aura reçu un investissement de l’ordre de 40 milliards de dollars. Parmi les autres voies sollicitées, le chemin de fer demeure la direction privilégiée eu égard aux retards de développement qui grèvent ce secteur et aux potentialités dont dispose le pays en la matière, vu qu’il a hérité de la colonisation, d’une ligne traversant le nord de l’Algérie d’Est en Ouest, reliant entre elles les trois capitales maghrébines, avec quelques dessertes insignifiantes vers la côte et vers les Hauts Plateaux. Cependant, en quelques trois décennies, le développement économique du pays, la croissance démographique et la nouvelle carte géographique des échanges et de bassins de production ont inévitablement charrié de nouveaux besoins en matière de transport de marchandises et de voyageurs.
Si le créneau du transport ferroviaire bénéficie depuis une dizaine d’années d’une attention soutenue des pouvoirs publics et des partenaires économiques, c’est essentiellement pour les grandes capacités dont il peut disposer et le côté pratique et fluide de la voie empruntée par ce moyen de transport. En effet, il tombe sous le sens que le transport ferroviaire a toujours constitué un segment majeur de l’économie dans les étapes de la fourniture des équipements, de la matière première, des produits finis ou semi-finis, ainsi que de leur transbordement des/ou vers les ports. Le point de chute peut également être un aéroport, dans le cas ou la suite de la prestation de transport doit être assurée par un avion cargo. L’on sait que dans la comptabilité des entreprises, la rubrique transport occupe parfois des postes importants, surtout lorsque les bassins de production (usines, fermes, ateliers) sont situés à des distances éloignées. Pour un pays aussi vaste que l’Algérie, l’enjeu du transport de marchandises et de voyageurs se trouve naturellement décuplé. Cependant, jusqu’à présent, les activités liées au transport sont concentrées sur le déplacement par voie de route. La majorité de la population algérienne étant positionnée au Nord, particulièrement sur la côte, les voies terrestres se trouvent étranglées par l’intensité du trafic et la nature du relief caractérisant la bande nord. C’est ainsi que le choix du chemin de fer a fini par s’imposer de lui-même, après des retards importants enregistrés dans ce secteur.
La part du rail en Kabylie
Ces retards sont durement vécus en Kabylie où le relief accidenté et la densité de l’habitat ont conduit à l’engorgement des voies terrestres. Les gros camions transporteurs de ciment, de briques, de sable, de graviers et autres matériaux, qui traversent les centres-villes et obstruent la circulation, sont à l’origine de beaucoup d’accidents sur certains axes routiers et roulent sur des chaussées inadaptées pour le tonnage considéré. Ce dernier phénomène a conduit à de graves endommagements des routes (affaissements, lézardes, cratères, nids-de-poule,…).
La zone industrielle d’Oued Aïssi avait longtemps souffert du problème d’acheminement des approvisionnements en semi-produits et de la livraison des produits finis. La nouvelle rocade ferroviaire dont elle a bénéficié et qui la rattache à la ville de Tizi-Ouzou, puis à Alger, constitue assurément un apport considérable qui fluidifiera les opérations de transports et en réduira les charges. On n’a, en revanche, plus d’informations sur la vision développée initialement, dans la foulée de ce projet stratégique, qui lui donnait un prolongement jusqu’à Fréha et Azazga.
De même, la gare multimodale de Bouhinoun répond, malgré les désagréments suscités par la délocalisation de l’ancienne gare routière, à un objectif d’offrir aux voyageurs plusieurs types de transport (rail, bus et taxis) sur un même périmètre opérationnel. À moyen terme, l’électrification de la voie de chemin de fer sur Alger constituera un autre atout en matière de modernisation du rail. Au niveau de la wilaya de Bouira, c’est une nouvelle ligne rapide de chemin de fer qui est en train d’être réalisée. Elle va de Thenia à Bordj Bou Arréridj, en empruntant le piémont du Djurdjura, sur la rive nord de l’Oued Sahel. Après les contestations de quelques habitants qui verront leurs propriétés, souvent des terrains agricoles de grande fertilité coupées en deux par cette infrastructure, les choses semblent rentrer dans l’ordre après les promesses d’une indemnisation importante. La nouvelle ligne électrifiée Thenia-BBA est un ouvrage parallèle à l’autoroute Est-Ouest de laquelle elle est séparée par la haute vallée du Sahel-Soummam. La modernisation de la ligne Beni Mansour-Béjaïa constitue un projet structurant, déterminant pour le port de cette ville et pour l’économie régionale, au même titre que la voie express 2X2, sur 100 km, devant relier le port de Béjaïa à l’autoroute Est-Ouest au niveau d’Ahnif (wilaya de Bouira). Le chemin de fer constitue indubitablement un segment majeur de l’économie régionale et nationale. Il est promis à une croissance et à un développement fulgurants destinés à l’intégrer dans l’économie globale du pays et, à terme, dans l’économie maghrébine.
A. N. M.
