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Le wali déterminé à raser le vieux bâti

Le dossier brûlant du vieux bâti à Bouira, vient d’être réactivé par les pouvoirs publics. Ainsi, le premier magistrat de la wilaya, M. Ali Bouguerra, a annoncé récemment que  » les habitations précaires, situées dans l’ancienne ville de Bouira, allaient être rasées (…) et les propriétaires récalcitrants se verront poursuivis en justice ». 

Par cette déclaration, il semble bien que le chef de l’exécutif de la wilaya veuille passer à la vitesse supérieure, quant à son plan d’aménagement de l’ancienne du vieux-Bouira. Les seuls obstacles qui se dressent devant ce projet, ce sont les nombreux « Haouchs » (taudis datant de l’époque coloniale) disséminés ici et là. 

Les locataires pris en otages par certains propriétaires

En effet, certains propriétaires de ces gourbis, qui, il faut bien le reconnaitre, défigurent le paysage urbain, s’opposent farouchement à une quelconque démolition, prétextant que ces bâtisses en ruines sont des  » biens communs » à toute une famille ou fratrie. Cette particularité se traduit par des exemples qui peuvent laisser perplexes. Ainsi, dans un même haouch de 50 M&sup2,; par exemple, cette minuscule superficie appartient à cinq ou six personnes, à raison de 10 M² chacun! Bref, un véritable imbroglio. Pour rappel, la prise en charge de ce tissu de vieux bâti remonte aux années quatre-vingt, lorsque les autorités publiques avaient décidé d’y injecter des projets de logements, en remplacement des constructions démolies. Cette opération fut, cependant, abandonnée définitivement, après que ces actions de rénovation eurent été confiées aux propriétaires des haouchs. Mais de l’avis de tous, cette  » machine arrière » de la part des autorités de l’époque n’a fait qu’empirer les choses et laisser cet épineux problème trainer en longueur. Cet état de fait a pris les locataires de ces taudis, pour ainsi dire, en otages. D’ailleurs, bon nombre d’entre eux, n’hésitent pas à lancer un cri de  » détresse » aux pouvoirs publics. M. Ouchene Rachid, est l’un de ces locataires qui  » supplient » les autorités  de procéder à la démolition de leur gourbi et leur affecter un logement décent. « On attend d’être délivrés de ce calvaire depuis 1991! J’ai formulé de nombreuses demandes de logements, j’ai tout fait, mais sans grand résultat », dit-il. Avant d’ajouter: « Ma mère est âgée de 74ans, et imaginez-vous qu’elle dort à même le sol, à côté de ma femme et mon grand frère! Cette pauvre femme espère qu’avant qu’elle n’aille rejoindre son créateur, puisse bénéficier d’un logement où elle pourra mourir dignement ». Même certains propriétaires plaident pour que l’Etat rase définitivement ces  » favélas ». C’est ce que réclame Nouredine, propriétaire du haouchs dit Amar Khodja, situé dans le quartier Aïssat Idir à Bouira. Toutefois, d’autres n’entendent pas se faire  » spolier », selon leurs termes. C’est notamment l’avis des propriétaires des haouchs « Abdallah » et « Zaidi », pour qui les autorités doivent, avant tout,  » nous verser des indemnités et recaser les locataires ». Ces exigences ont été en grande parti, prises en charge par les pouvoirs publics qui ont recasé un grand nombre de locataires et indemnisé les propriétaires. Cependant, il subsiste encore quelques propriétaires peu enclins à démolir leurs gourbis après recasement des familles. C’est à partir de là qu’a été prise la décision de procéder à la démolition des haouchs et d’ester leurs prioritaires en justice en cas de refus. Cette mesure est décriée par les propriétaires, qui l’ont qualifiée de dépassement. 

Ce que prévoit la loi…

Partant de là il est intéressant de voir ce que prévoit la loi en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique. Ainsi, la loi n° 91-11 du 27 avril 1991, régissant les textes relatifs à l’exploitation de biens par l’Etat, dans le but d’engager des travaux d’utilités publiques, a été complétée en 2008 par un décret exécutif portant le numéro 08-202, daté du 07 juillet 2008. Concrètement, il s’agit d’un deuxième alinéa qui a été ajouté à l’article 40 du décret exécutif n° 93-186 du 27 juillet 1993, déterminant les modalités d’application de la loi n° 91-11. Cet alinéa stipule que  »  Pour les opérations de réalisation des infrastructures d’intérêt général, d’envergure nationale et stratégique, dont l’utilité publique est déclarée par décret exécutif, le wali, territorialement compétent, prend immédiatement(…) l’arrêté d’expropriation des biens et des droits réels immobiliers expropriés, portant transfert de propriété au profit de l’Etat ». En terme moins technique, ce texte donne les pleins pouvoirs au wali pour procéder à toute expropriation, sans attendre l’aval de la justice. Chose qui était clairement interdite par l’article 40 d’origine, qui disait que » lorsque le juge n’a pas été saisi à l’issue du délai de recours fixé à l’article précédent, ou qu’il a été procédé à un accord à l’amiable, ou dans le cas d’une décision de justice devenue définitive et favorable à l’expropriation, le wali prononce par arrêté l’expropriation ». De plus, cet ajout d’alinéa à l’article 40 du décret exécutif n° 93-186, précise par ailleurs que  » Dans le cas où des recours sont introduits en justice par les expropriés en matière d’indemnisations, ceux-ci ne peuvent faire obstacle au transfert de propriété au profit de l’Etat, conformément aux dispositions de l’article 29 bis de la loi n° 91-11 du 27 avril 1991 susvisée ». 

À la lecture de ces textes, en les transposant à l’affaire du vieux bâti de Bouira et des récentes déclarations du premier responsable de la wilaya à propos de la saisie de la justice, on comprend que les autorités se montrent  » très conciliantes » vis-à-vis des propriétaires. En effet, les pouvoirs publics, à leur tête le wali, avaient toute la latitude de procéder, conformément à l’alinéa 40 de la loi relative à l’expropriation d’utilité publique, de ne pas attendre la justice et ses rouages, parfois frappés de lenteurs, pour raser ces haouchs. Quoi qu’il en soit, cette fois-ci et sauf rebondissement de dernière minute, le vieux bâti de Bouira semble vivre ses derniers jours. 

 Ramdane B.

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