Etudiant en philosophie,Lotfi Hadjiat prépare son Doctorat. Parallèlement, il écrit des essais, des nouvelles et des articles de presse. Dans cet entretien, il nous parle de sa dernière œuvre intitulée: Et le bon grain tua l’ivraie, préfacée par l’ex ministre français des Affaires trangères, Roland Dumas, et édité aux éditions Bellicum.
La Dépêche de Kabylie : Vous avez publié tout récemment, « Et le bon grain tua l’ivraie », un livre dont la préface a été faite par Roland Dumas. Pouvez-vous nous dire quel est l’objet de votre essai ?
Lotfi Hadjiat : Le livre est une réflexion sur ce qu’est devenu l’humanisme aujourd’hui et sur ce que devient l’humanité. C’est une tentative de réponse à cette question : l’humanité a-t-elle vraiment un destin, une destination… ou est-elle condamnée à périr, comme d’autres espèces animales ?
Quelles sont les grandes lignes de votre réponse à cette question ?
Pour résumer, je dirais que l’humanité s’est rêvée Destin et s’est réalisée Mensonge. Aujourd’hui, l’humanité ne se rêve plus, les utopies ont été trahies et nous sombrons dans un matérialisme démocratique féroce, à tendance nihiliste, où la concurrence devient une lutte meurtrière pour la survie.
Le seul destin de l’humanité serait donc de périr dans un chaos final…
Oui. C’est en tous les cas ce que je vois se dessiner. Jour après jour, j’observe avec tristesse que les hommes ne sont plus mus que par leur salut matériel. Et quand ils ne s’entretuent pas pour cela, ils sombrent dans le fanatisme.
Comment en est-on arrivé là ?
Les hommes, dans le passé ont toujours été mus par des mythologies, des croyances communes, des utopies et, plus généralement, par un salut spirituel ou moral. La rupture a eu lieu aux XVIIème et XVIIIème siècles, avec l’émergence des « Lumières », les lumières de la Raison. Dès lors, on s’est mis à définir l’homme rationnellement, à partir du donné empirique, et à en faire, finalement, un objet de connaissance. Le salut était, désormais, dans la connaissance, et plus dans la croyance. Les sciences empiriques progressant au cours des siècles suivants, en particulier les sciences cognitives. Cet objet de connaissance, qui était encore un objet métaphysique pour Descartes et Spinoza, a alors été réduit à un objet empirique. Au point qu’aujourd’hui, les neurosciences cognitives considèrent la pensée, en elle-même, comme un phénomène physico-chimique, une combinaison empirique, une configuration matérielle. L’esprit est ainsi réduit à la matière et l’homme à du matériel. Le salut de l’homme devient donc strictement matériel. L’exclusivisme empirique de la Raison, aujourd’hui, est une idéologie totalitaire qui nous plonge dans la servitude au matériel. C’est la pire des servitudes, car elle asservit ce qu’il y a de plus intime en l’homme, ses pensées.
Ne peut-on plus sortir de cette servitude ?
Les neurosciences cognitives n’ont, jusqu’à aujourd’hui, pas percé l’énigme de l’imagination, elles n’ont pas réussi à la réduire à un phénomène matériel. Il faut bien voir que la rationalité elle-même, n’est qu’une configuration possible de l’imagination, car rationaliser n’est jamais qu’imaginer des causes toujours plus cohérentes. Dans mon livre, je pars donc de l’imagination, pour tenter d’émanciper l’esprit de cette servitude.
Il y a donc un espoir de s’en sortir ?
Par une initiative individuelle, sans doute. Mais pas d’un point de vue collectif. Les puissances oligarchiques financières aggravent, encore, notre servitude au salut matériel en nous enchainant à l’endettement. Et nous y sommes tellement enchainés que nous ne voyons notre liberté qu’après notre salut matériel. Nous ne concevons même plus d’être libres par l’esprit. Placer le salut matériel comme préalable à tout autre salut est justement ce qui fonde l’idéologie religieuse de ces puissances financières, à savoir l’idéologie vétérotestamentaire. Dans celle-ci, non seulement le Messie n’est reconnu que s’il apporte le salut matériel avant tout autre chose, mais il est, en plus, prescrit explicitement dans le Deutéronome (28, 12-13) que la domination sur les autres nations se fera par l’endettement, « …tu prêteras à beaucoup de nations et tu n’emprunteras point. L’Eternel fera de toi la tête et non la queue… ». Nous sommes donc asservis à deux idéologies conjuguées : l’exclusivisme empirique de la Raison et l’idéologie vétérotestamentaire. La seconde (pas visible) prospérant sur la première (visible), au nom de la liberté et de l’égalité le pervers devenant égal au juste. S’en émanciper exige individuellement un effort intellectuel et spirituel soutenu, subtil et profond, chose qui ne peut être envisagée collectivement, surtout dans une période de crise planétaire aussi violente que la nôtre.
Chacun doit donc prendre son émancipation et son salut en main ?
Oui, plus que jamais.
Vous ne croyez donc pas au Messie !?
Selon les Écritures, le Messie ne sauvera pas l’humanité entière, mais une minorité seulement, une minorité de personnes qui auront justement pris à cœur le salut de leur âme avant leur salut matériel.
Interview réalisée par Kamel

