Du mépris, faisons table rase !

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La célébration de la Journée du 17 octobre 1961, correspondant au massacre de dizaines d’Algériens à Paris sous les ordres du préfet de police Maurice Papon, nous replonge indéniablement dans un sujet que l’historiographie nationale n’a pas complètement intériorisé à savoir  la part de contribution de l’émigration algérienne à la guerre de Libération nationale. Lorsqu’on se met à feuilleter les pages glorieuses de cette grande épopée, ce sujet prend les contours d’une féconde mémoire qui commence à peine à être explorée. Elle nous renvoie non seulement aux moments les plus tendus de la révolution de novembre 54, mais aux premiers balbutiements du mouvement national algérien de la fin des années vingt du siècle dernier. Après l’échec des insurrections populaires, conduites par des chefs de tribus et des notables entre 1840 et 1880, la colonisation administrative et de peuplement a été achevée et greffée à la colonisation militaire. Jusqu’à la fin des années 1920, les Algériens ne surent pas encore trouver les voies idéales pour contester l’ordre colonial et chercher l’indépendance du pays. Entre-temps, et depuis la fin de la première guerre mondiale, l’Algérie est devenu l’un des principaux bassins de provenance de l’immigration qui a pris pied en Europe occidentale, particulièrement en France. Après avoir guerroyé contre des forces et des nations qui ne nous ont jamais agressés, les survivants parmi les tirailleurs Nord-Africains ont atterri dans les houillères de la Lorraine, les chantiers navals du Havre et les rizières de la Camargue. Le chemin venait ainsi d’être tracé pour des milliers de villageois-paysans de l’arrière-pays de l’Ouarsenis, de la Kabylie et des Babors. Les anciens ouvriers agricoles, les artisans et les paysans sans terre vont faire l’amère expérience d’un lumpenprolétariat après avoir été acculés par un système capitaliste colonial qui a pris le soin, quarante ans auparavant, de les déposséder de leurs terres par les fameuses lois dites du Senatus-Consult. Au déracinement social et familial vont se greffer les phénomènes de déculturation, de mépris et de délit de faciès. Parallèlement au renforcement du pouvoir colonial en Algérie et de ses pires conséquences sur les structures de la société et le niveau de vie des populations, le mouvement migratoire ira crescendo pendant l’entre-deux-guerres et atteindra son apogée entre la fin de la seconde Guerre  mondiale et la guerre de Libération nationale. La structure même de l’émigration subira une évolution, lente mais assez profonde pour entraîner des chamboulements sociaux et des ondes de choc au niveau de tout le pays. Alors que l’ancien émigré paysan analphabète à l’origine, vivait sa nouvelle situation dans la solitude et la froideur des foyers Sonacotra, les nouveaux postulants sont de jeunes chômeurs, plus ou moins instruits, qui réussiront, au cours des vingt dernières années à s’insérer dans des créneaux (commerces, services,…) lesquels, même s’ils sont frappés par la précarité présentent l’avantage de l’absence de pénibilités particulières comme celles qui pesaient sur les métiers exercés dans les galeries souterraines ou les chantiers de construction. Mais, tous les métiers, en fin de compte, sont faits pour construire ou reconstruire la Métropole avec la sueur et les bras des ex-colonies. Hormis la magistrale contribution de l’émigration algérienne à la naissance et au développement du Mouvement national -Messali et Laïmècehe Amar étaient des syndicalistes dans les usines françaises avant de ‘’rapatrier’’ leurs idées de combat sur la terre d’Algérie pour lutter contre le colonialisme- ainsi que l’inestimable apport de la Fédération de France du FLN (la 7e wilaya), on sera en peine d’inventorier les bienfaits capitalisés par les pouvoirs publics algériens de l’immense réservoir de l’émigration dispersée dans les quatre coins du monde depuis l’Indépendance. Qu’on n’avance surtout pas une quelconque réalisation de l’Amicale des Algériens en Europe (AAE), une officine constituant un appendice du parti unique à Paris et destinée à embrigader nos émigrés de la même façon que le font les organisations de masse (UGTA, UNJA, UNFA,…) en Algérie pour les citoyens résidants. La fracture entre l’émigration algérienne et les autorités du pays a été consommée au point qu’aucun encadrement institutionnel ou administratif n’a pu attirer l’attention de nos ressortissants en Europe ou ailleurs de façon à ce qu’ils puissent contribuer à la reconstruction du pays et à la refondation de notre économie. Ce n’est pas, en tout cas, l’opération de charme de la représentation politique au sein de l’APN ou un secrétariat d’État, qui pourront instaurer une quelconque  ébauche d’une confiance fructueuse. Le déficit d’intérêt accordé à nos émigrés les a acculés à des solutions individuelles, et parfois carrément individualistes, qui sont très en-deçà de leurs potentialités réelles, qu’elles soient financières ou  managériales. L’émigré est plutôt vu chez nous comme un profiteur, une sangsue, qui dérange notre quiétude et nos marchés entre juin et août, qui préfère la somptuosité des demeures assises sur l’euro à des projets porteurs, créateurs de richesses et d’emplois. Oui, c’est là une vérité irréfragable qui contraste en tous points avec la situation de nos voisins marocains et tunisiens. Mais c’est d’abord l’amère réalité d’un système économique et politique auquel l’assurance de la rente a longtemps fait bomber indécemment le torse ; un système qui se contente de fêter, dans la pure forme, le 17 octobre et les massacres de la Seine, mais qui juge, lorsqu’il s’agit de faire participer l’émigration à l’effort de construction nationale, que « personne n’est indispensable ».  

                 

Amar Naït Messaoud

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