Le mode du fonctionnement des assemblées élues, communales et de wilaya, nous en apprennent indubitablement, chaque jour davantage, sur les efforts qui restent encore à faire dans le vaste champ de la gestion locale et dans la »pacification » des relations entre le pouvoir exécutif, représenté par le wali, et les élus locaux.
«Je dégage ma responsabilité quant à l’esprit régionaliste qui règne dans les travaux de cette Assemblée. Je tiens à ce que cela soit consigné dans le procès-verbal », fulminait, il y a quelques mois, le wali de Constantine en pleine réunion de l’APW. L’information a été rapportée par le journal régional « Ennasr ». Face à l’inertie de certains exécutifs communaux au niveau du territoire de la wilaya de Bouira, le wali est vu par les habitants des villages et localités concernés comme l’homme providentiel, par lequel la solution à leur problème pourra advenir. C’est le sentiment vécu par les populations de Sour El Ghozlane lorsque, il y a deux ans, l’APC était paralysée dans son fonctionnement organique et gestionnaire. L’on se souvient aussi de l’ancien wali de Béchar qui, au milieu des années 2000, avait été à l’origine de la formation d’un comité de sages, constitué de notables respectés dans la région de la Saoura, afin de « contribuer à la résolution des problèmes des citoyens ». Toute l’administration de la wilaya et ses daïras, l’ensemble des assemblées élues locales (APW et APC) n’avaient visiblement pas suffi à asseoir une gestion de proximité pouvant résoudre les problèmes des habitants de la wilaya. Le recours à de tels procédés informels dénote incontestablement l’existence d’un fossé béant entre les populations et ceux qui sont censés les administrer. Nous savons que ce genre de procédé qui crée une voie parallèle à celle de l’administration formelle, peut réussir momentanément sur le cours terme, mais s’essouffle en l’absence d’une bonne véritable gouvernance locale, librement négociée entre l’administration et la société civile. C’est là une mentalité qui consiste reléguer les circuits officiels pour investir des créneaux informels qui peuvent s’avérer plus efficaces, qui élit domicile même dans les hautes sphères du pouvoir. Souvenons-nous de l’action acharnée du ministre de l’Intérieur et des collectivités locales au niveau de la wilaya de Ghardaïa destinée à « éteindre le feu de la discorde » entre les populations Mozabites et Chaâmba qui en sont venus…aux armes dans la localité de Beriane en 2008/2009. Ould Kablia avait fait signer les représentants des deux communautés au bas d’un document appelé « Charte de la paix ».
On l’a constaté à plusieurs occasions, lorsque des jeunes se soulèvent dans des bourgades ou quartiers pour des problèmes sociaux objectifs, le recours par l’administration à des réseaux parallèles (notables, sages, imams) pour négocier le retour au calme est devenu une modalité quasi ordinaire, si bien qu’un certain discrédit est jeté sur les instances élues. En réalité le discrédit et la déliquescence dans lesquels baignent les structures élues sont souvent même à l’origine des barricades dressées par les jeunes. Les différentes formes de protestations qu’a connues la rue algérienne, au cours des dernières années, n’ont pas seulement révélé l’inanité de certaines structures ou institutions censées travailler pour le bien de la collectivité mais, plus grave, ils mettent également à nu les déficiences de la société civile, en matière d’organisation et d’encadrement des populations. La problématique de la gestion des collectivités locales et des programmes de développement qui leur sont confiés a été examinée à différentes occasions par les instances supérieures du pays. Le diagnostic, qui en a été fait et dans ses faces les plus visibles, n’a pas automatiquement conduit à une avancée notable sur ce dossier important de la gouvernance en général. Au contraire, au cours de ces dernières années, les frictions et l’animosité régnant entre des élus et certains démembrements de l’administration ont atteint des niveaux inadmissibles qui se répercutent immanquablement et de façon fort négative sur la conduite des affaires publiques. D’où la paralysie de certains services (mairies, daïras, subdivisions techniques, wilaya…). Décidément, tous les sujets sont à même d’installer discorde et clivage, à commencer par la liste des bénéficiaires du logement social ou de l’habitat rural, jusqu’aux projets des programmes communaux de développement pilotés par les APC (aménagement urbain, assainissement, désenclavement, choix des localités pour les projets de proximité…)
Administration locale défaillante
Plus on examine de près ces « mésalliances », lesquelles sont dommageables à l’ensemble du corps social, plus on se rend compte que les solutions à y apporter sont loin de pouvoir se limiter à de simples artifices, comme par exemple les « négociations » parallèles par notables interposés. Il faut reconnaître que les distorsions et les incohérences sont trop profondes pour qu’elles puissent être dissipées par un simple amendement du code communal, comme cela a été fait l’année dernière, sachant que l’environnement institutionnel en général est plongé dans une pénalisante centralisation, laquelle ne répond guère aux impératifs de la vie sociale moderne. Les constats de déficience et de retard de développement de l’administration locale ne viennent pas seulement des experts ou des opposants politiques, ces derniers seraient peut-être dans leurs rôles en voulant jouer les « nihilistes ». Ces constats émanent parfois, aussi, des instances supérieures du pays. Que l’on se rappelle les assises nationales sur le développement local que le CNES avait organisées en 2011. Le président de la République avait transmis un message peu flatteur sur la conduite des affaires de la collectivité à ce forum. Il y écrit: » les efforts considérables de l’État en matière de couverture de la demande sociale et d’amélioration des conditions de vie des citoyens ne sont malheureusement pas soutenus par une administration locale défaillante ». Dans quelle mesure les élections locales du 29 novembre prochain pourront apporter une nouvelle touche à la gestion locale? L’idée mort-née, émise en 2007, de la »Charte intercommunale » de huit communes de la Kabylie maritime peut-elle être réactivée et recevoir un destin plus »souriant » en ces temps de morosité politique? Les campagnes de nettoyage et d’embellissement du cadre de vie peuvent-elles acquérir un caractère plus durable de façon à en faire une conduite politique et civilisationelle de toujours? Ce sont autant de questions, et ils y en bien d’autres, qui s’invitent inévitablement au cours de ces élections locales. Il appartient aux candidats et aux partis de relativiser, par la pratique sur le terrain, le pessimisme ambiant et de se montrer dignes d’une compétition politique qui se déroule un demi-siècle après l’indépendance du pays.
Amar Naït Messaoud