Une bourse à ciel ouvert !

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Le Square Port Said est un lieu mythique par son célèbre café «Le Tontonville», le théâtre national, ses petites échoppes de maroquinerie, dont raffolent les touristes, et son imprenable vue sur le port de pêche.

Aux alentours de cette placette, récemment occupée par les réfugiés syriens, se dresse à ciel ouvert un marché de change clandestin. De par son trafic, cette placette est l’une des plus animées de la capitale. Elle grouille de monde plus que n’importe quel boulevard commerçant. Les innombrables «courtiers», des liasses de billets exhibées à la main, rôdent dans les endroits dès les premières lueurs du jour, selon quelques témoignages des habitants du quartier limitrophe. Quoi que l’on dise de ce trafic banalisé avant d’être normalisé « des millions d’euros transitent par cette place », selon les observateurs. Ce marché de la devise existe, selon des habitués des lieux, depuis le milieu des années 1980 et  « ces jeunes sont une troisième génération de revendeurs », a-t-on appris auprès des commerçants voisins. Stationnés ici et là les véhicules des monnayeurs semblent tenir lieu de petits bureaux discrets où ils viennent peaufiner leurs comptes à l’abri des regards indiscrets. Les coffres de ces voitures, nous dit-on, sont bourrés de liquidités, toutes monnaies confondues. Ici comme ailleurs, le change informel est accessible à tous. A l’image de la capitale, différentes localités de la Kabylie connaissent également une prolifération des bureaux de change clandestins. On peut librement y acheter et vendre des devises. Emigrés et retraités, affiliés aux Caisses de retraite françaises, alimentent régulièrement le marché. A chaque fin de mois, les pensions en devises sont retirées des comptes bancaires pour alimenter aussitôt les circuits parallèles. Ce marché brasse ainsi des capitaux colossaux en monnaies fortes. Au square, affirme-t-on, personne ne peut savoir combien d’argent, en devises comme en dinars, circule exactement. Les chèques, ordres de virement et autres moyens de paiement scripturaux sont ici monnaie courante, nous confient certains habitués de la place. Et c’est via les banques, nous précise-t-on, que s’effectuent de pareilles transactions. Telle une véritable corporation, décrivent nos interlocuteurs, les cambistes clandestins sont «très organisés et solidaires». «Ils se protègent les uns les autres et s’entraident pour pallier d’éventuels manques de liquidités », nous dit-on. Même s’ils s’enrichissent presque à tous les coups, nous explique un de leurs clients, «ils courent toujours le risque de faire de très mauvaises affaires si les taux venaient à baisser soudainement». Dans cette plaque tournante du change des monnaies étrangères, 1’ euro était « coté « , samedi, à 141 DA à l’achat à  143 à la vente. Or, le taux de change officiel pratiqué par les banques est de 101, 38 DA à l’achat et 107, 60 DA à la vente. Une hausse vertigineuse qui s’explique, selon les jeunes vendeurs de devises, par une forte demande de devises étrangères et notamment l’euro, en ce mois d’octobre, période de départ à la Mecque,  dira un jeune vendeur rencontré sur le trottoir de la rue Abane Ramdane, en quête de potentiels clients. En revanche, « Quand  un client demande une forte somme d’euros et qu’il négocie le taux à la baisse, nous sommes obligés d’appeler notre interlocuteur pour avoir son avis, s’il accepte ou non la transaction avec le taux proposé par le client », explique-t-il la procédure de négociations à distance. Un grand nombre de détenteurs de l’argent n’habitent pas à Alger, mais à l’intérieur du pays, notamment les wilayas à forte composante d’émigrés. Une « Bourse » à ciel ouvert ? Voilà un terme qui sied parfaitement à ce lieu…

  Ferhat Zafane 

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