Par Abdennour Abdesselam
C’est lui-même qui l’avait annoncé dans une de ses dernières chansons. Peu de temps après la sortie de l’album, Slimane Azem met fin à sa carrière dans le domaine de la chanson politique. Il continuera cependant à ce produire sur scène en se lançant en même temps dans la production de sketchs qu’il enregistrera en duo avec le célèbre chikh Noreddin. Nous nous intéresserons plutôt au soubassement qui a fait l’essentiel de sa carrière d’artiste. Le répertoire global de Slimane Azem qui démarre dans les années 40 est une mosaïque d’interprétations artistiques pluridisciplinaires. Son entrée dans le monde de la chanson débutera dans les années 40. Il l’entamera avec la thématique de l’émigration avec sa première chanson sur le sujet qui s’intitulait : «Amoh a Moh». On retiendra que l’émigration a été un phénomène massif et très éprouvant à l’époque. De ce fait il occupera une large place dans le répertoire global de la chanson kabyle. L’émigration fut également un sujet commun et partagé avec la plupart des artistes de sa génération. Mais déjà la profondeur du texte de Slimane Azem ne laissait personne indifférent. Même si très peu de foyers disposaient du poste radio dans les montagnes de Kabylie, l’artiste faisait son chemin. Ainsi grâce à lui les tabous individuels et collectifs sont tombés un à un ce qui verra se généraliser, peu à peu, l’entrée de la radio dans les foyers. La particularité de Slimane tient donc de la diversité de ses interprétations. Il a fait, tout à la fois, dans la comédie avec, entre autres, «Yennugh wergaz t-tmettut» ; «debza wedmagh» ; «ay aâebbudh», dans la caricature avec «lful d ibawen» ; «Muhend Uqaci», dans la chronique de la vie dans la cité avec «akkagi d-yeffegh lexbar» ; «lqern rbaâtach», dans le domaine de l’amour avec «kem akw d nekk» et «attas ay sebragh» qu’il interprétera magistralement en duo avec la célèbre Bahiya Farah. Il a également été un fabuliste avec «azger yaâqel gmas», «baba ghayu» ; «taqsit n wemqarqer». Il a aussi composé des chansons révolutionnaires dans un environnement très contraignant par un contrôle rigoureux avec «ffegh ay ajradh tamurt-iw» ; ideher-ed waggur» qui ont pu passer à travers les rets de la censure. Il a été un fin observateur de la scène mondiale politiquement instable et même apocalyptique avec «tarwi tebbarwi» qui traitait des risques d’une troisième guerre mondiale transformée en guerre froide ; «amek ara nili susta» qui décrivait les bouleversements induits par la parution de nouveaux moyens de destruction massifs menaçant l’environnement. Son genre de chansons contestataires apparaît avec «a nekkar n lahsan» ; «zzin-iyi tlata weqwjan». Slimane Azem s’est distingué dans la dernière tranche de son répertoire, en donnant naissance, juste après l’indépendance, au discours politique opposant. Après le muselage de tous les opposants de l’époque par l’emprisonnement ou l’élimination physique, l’artiste engagé étale au grand jour le système dictatorial qui se mettait en place et qui va gâcher dangereusement les espoirs de la libération dont les effets ont encore aujourd’hui leur prolongement. S’en est suivie alors une véritable intrigue qui fera interdire ses chansons sur l’ensemble des radios. Mais c’était sans compter sur l’admiration que lui vouera toute la population de Kabylie. Ses disques traverseront les polices des frontières et seront largement distribués, même sous le manteau.
A. A.
