Développement durable et éthique d’équilibre régional

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Les élections locales du 29 novembre dernier, par-delà les rivalités et les luttes homériques qu’elles ont charriées entre candidats et camps politiques opposés, nous replongent imparablement dans des questions terre-à-terre, mais d’une réelle complexité; ce sont les questions inhérentes à la gestion quotidienne des affaires publiques au profit des citoyens-électeurs. 

Ces affaires publiques (services assurés aux citoyens, projets communaux de développement, habitat rural,…)  prennent un relief particulier dans les zones aux…reliefs acérés et tourmentées, à savoir les zones de montagne. À ce jour, nombre de communes ne sont pas encore fixées sur la présidence de l’exécutif communal, vu la multiplicité des candidats et des partis; ce qui exige le recours à toutes sortes d’alliances, y compris celles contre-nature. S’agissant spécifiquement des zones de montagnes, pour lesquelles la communauté internationale a institué une Journée mondiale coïncidant avec le 11 décembre de chaque année, la  »griserie » des succès électoraux fera bientôt face aux réalités entêtées d’un espace où aucun cadeau n’est offert à ses habitants, hormis l’air pur et la nostalgie de paysages picaresques, aujourd’hui gagnés par de multiples travers de la vie  »moderne »: décharges sauvages, pollution, déforestation, délinquance juvénile, commerce de la drogue, déscolarisation, chômage, manque d’attractivité touristique,…etc.  »Nous avons, comme tout capital, une colline ou deux; nous aurons comme seul partage la malédiction », s’indigne Aït Menguellet dans l’un de ses poèmes (2005), en réaction aux éternelles querelles qui obèrent la vie des montagnards kabyles. « Dans la montagne où je suis né il ne pousse que des hommes ; et les hommes, dès qu’ils sont en âge de se rendre compte, savent que s’ils attendent qu’une nature revêche les nourrisse, ils auront faim ; ils auront faim s’ils ne suppléent pas à l’indigence des ressources par la fertilité de l’esprit ; la montagne chez nous accule les homme à l’invention. Ils en sortent par milliers chaque année, ils vont partout dans le monde chercher un pain dur et vraiment quotidien, pour eux-mêmes et pour ceux (surtout pour celles) qu’ils ont laissés dans la montagne, près du foyer, à veiller sur la misère ancestrale « , écrit, quant à lui, Mouloud Mammeri (in Entretien avec Jean Pélégri). Plus que toutes les autres montagnes d’Algérie, les reliefs de Kabylie, du Djurdjura aux Babors, en passant par les Bibans, abritent une population nombreuse, avec des densités allant parfois jusqu’à 500 habitants/km2. Les conditions de vie deviennent de plus en plus insoutenables, malgré certains efforts des pouvoirs publics tendant, par le truchement de projets d’infrastructures et équipements, à stabiliser les populations et leur offrir un minimum de confort. Presque sur tous les massifs d’Algérie, la gestion des systèmes montagneux a été mise à mal par les conditions générales de vie du monde rural où les populations ont subi une grave paupérisation ayant conduit une partie de celles-ci à un exode massif vers les villes. Les populations restantes, dans un effort tenant de la  »stratégie de survie », se sont employées à une exploitation effrénée des ressources naturelles existantes, dont le patrimoine forestier, jusqu’à compromettre leurs propres chances de stabilité et d’évolution sociale. Pendant longtemps, l’action des pouvoirs publics dans le soutien au monde agricole s’était surtout manifestée dans les zones de plaine, où les filières professionnelles reviennent à des exploitations dont la dimension permet une meilleure mobilisation des mécanismes de soutien. 

Écueils et handicaps 

Les espaces montagneux sont grevés de plusieurs handicaps dont : le morcellement de la propriété l’absence des titres de propriété l’indivision, les contraintes de relief, l’enclavement, l’absence d’ouvrages hydrauliques et le déficit en matière d’infrastructures et d’équipement publics. L’exemple des difficultés spécifiques rencontrées par des dizaines d’entreprises dans certains reliefs accidentés du nord d’Algérie, et particulièrement en Kabylie, est censé édifier les pouvoirs publics sur la planification relative à l’inscription des programmes de développement (construction d’immeubles, grandes infrastructures de bases : routes, ponts, adductions d’eau, canalisations de gaz ; installation des équipements publics : poteaux électriques, choix d’assiettes de terrain pour écoles ou autres établissements publics). La contrainte du terrain se présente dans ces cas de figure sous le double problème : la topographie et le foncier. Le premier écueil cité se trouve démultiplié par la concentration démographique, laquelle met dans l’obligation les agences d’exécutions à suivre un tracé peu commode qui épargnerait les habitations. En outre, et c’est là la question la plus épineuse soulevée par toutes les entreprises de réalisation, le coût d’inscription des opérations se trouve généralement en deçà des coûts réels générés par la nature hostile du terrain. À ce niveau, le problème soulevé prend une autre dimension, celle de la manière dont sont conçus et inscrits ces projets. On fait ici clairement allusion au mode centralisé de la gestion de l’économie nationale. Et pourtant le simple bon sens voudrait qu’une piste à ouvrir ou à aménager dans les plaines de M’Sila n’ait pas la même enveloppe budgétaire que celle à réaliser sur les monts du Djurdjura ou des Bibans. Le rendement des engins, la multiplication des virages, la nature du sol, l’ampleur des ouvrages d’art,…etc. influent obligatoirement sur le coût de réalisation. Ce qui est valable pour les voies d’accès l’est encore davantage pour les constructions. S’il se trouve que le coût du mètre carré à bâtir dans la Mitidja est donné le même sur les crêtes de Saharidj, c’est que, visiblement, il y a maldonne suite à une routine de calculs basés sur des schémas uniformes voulus par une centralisation hypertrophiée du pays. Tous les visiteurs des  zones de montagne où ce genre de travaux sont effectués peuvent en attester : les sommes englouties dans les terrassements et les murs de soutènement peuvent valoir parfois le tiers, sinon plus, du montant total de la construction. À ces écueils physiques, liés à la nature du terrain, se greffent les contraintes du foncier. L’histoire sociologique du monde rural algérien nous apprend que, au moins depuis l’occupation turque, l’État ne possède que d’infimes poches de terres sur les reliefs. La majorité des terres sur lesquelles sont conçus les projets de développement restent  dominées par la propriété privée souvent sans titres. Il s’ensuit que les projets publics sont tributaires de l’achat des parcelles sur lesquelles ils doivent être édifiés. Ce qui va encore hausser le coût de ces réalisations. Si la politique du développement du pays est orientée au cours de ces dernières années vers la stabilisation des populations rurales et vers une stratégie de l’endiguement de l’exode vers les villes, elle doit en tirer toutes les conséquences pour payer le prix qu’il faut. Avec les gros budgets alloués aux wilayas, le problème ne réside plus dans les ressources financières. Ce sont plutôt les procédures de classification des régions du territoire national selon les coûts réels des projets qui posent problème. 

Une nouvelle approche du monde rural

À cette impasse, il n’y a pas trente-six mille solutions ; seule une décentralisation de la décision, qui impliquerait les autorités locales et les élus au niveau le plus bas de la pyramide de l’État (communes), auxquels seraient associés les comités de villages et les associations, pourrait réduire ces incohérences de gestion-qui signifient une mauvaise redistribution des richesses nationales- vécues par les populations montagnardes comme une injustice flagrante.  La reprise en main et la revalorisation de l’espace montagneux passent immanquablement par une nouvelle approche du monde rural, laquelle est censée associer le riverain, en tant qu’élément vital de ce milieu complexe et en sa qualité de partie prenante privilégiée dans la nouvelle définition du développement rural durable. C’est ainsi que le Plan de soutien au renouveau rural est venu à point nommé pour répondre à certaines attentes des populations rurales du pays. Ce plan, qui s’articule autour des projets de proximité s’assigne comme objectifs l’amélioration de la sécurité alimentaire des ménages, la mise à niveau des exploitations agricoles, la promotion et la revalorisation des métiers ruraux et, enfin, la création de conditions favorables au retour des populations forcées de quitter leurs foyers suite au chômage et/ou à l’insécurité. Ce vaste programme suppose une intervention multisectorielle et une approche pluridisciplinaire pour pouvoir agir sur les différents leviers de la vie économique et sociale des populations-cibles. De même, le montage décentralisé des projets de proximité offre des possibilités réelles de tenir compte de la réalité plurielle des espaces, des spécificités, des atouts et des contraintes des zones d’intervention. En outre, après les études commandées par le ministère de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement, au milieu des années 2000, auprès du Centre national des études en économie appliquée (Ceneap) visant à délimiter et à classer les zones de montagne, le ministère de l’Agriculture a instruit, il y a quelques mois, les conservations des forêts et les directions de l’agriculture des wilayas afin qu’elles conçoivent des programmes spécifiques pour les zones de montagne. Ce sont là des revendications récurrentes de certains élus APW afin d’asseoir des programmes de développement au même titre que les programmes Sud et Hauts Plateaux, dans une logique et une éthique d’équilibre régional. 

Amar Naït Messaoud

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