Quel dessein politique pour l'Algérie?

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 Par  Amar Naït Messaoud

L’horloge algérienne semble réglée, voire figée, sur l’échéance d’avril 2014, au point où les partis politiques donnent l’impression de reléguer en seconde zone la révision constitutionnelle que l’on dit pouvoir aborder avant la fin de l’année en cours. Pourtant, les deux événements sont intimement liés, du fait qu’il faudrait d’abord remanier le texte fondamental pour, ensuite, aborder le rendez-vous des présidentielles.  L’on se souvient pourtant que, lorsque le président Bouteflika annonça une série de réformes dans son discours du 15 avril 2011- dont la révision constitutionnelle-, la lecture qui en a été faite dans l’immédiat était loin de se focaliser d’une façon aussi obsessionnelle sur l’échéance d’avril 2014. Le contexte n’y était pas vraiment, puisque le climat qui régnait alors était celui de l’exhalaison des effluves d’un certain « Printemps arabe », que l’on voit aujourd’hui fortement tenté par une transfiguration en glaciation intégriste. La question que les observateurs et les analystes se posaient à propos de l’Algérie était de savoir pourquoi notre pays n’avait pas cédé à cette aventure qui avait pris l’allure d’un effet domino. La tentation nihiliste d’une certaine mafia de l’informel nous a fait quand même valoir une semaine d’émeutes au début de janvier 2011. Cela fait exactement deux ans. On ne pouvait qu’y voir une connexion avec ce qui se passait dans le voisinage proche ou lointain. Il est probable que la future déstabilisation qui affectera un an et demi plus tard l’ancien Premier ministre, Ahmed Ouyahia, avait commencé par cette semaine  »symbolique ». Les règles politiques et l’entregent du secrétaire général du RND ont fait que Ouyahia ne pouvait pas reconnaître sur le coup avoir perdu une bataille face à ce conglomérat de l’informel. Il l’avouera, en revanche, à la télévision, en disant que l’économie du pays est prise en otage par la mafia de l’importation. Quelques mois auparavant, il avait aussi fait allusion à la forte possibilité que le gouvernement ne renouvelle plus les plans d’investissements publics tels que connus au cours des treize dernières années; le tour viendrait alors pour le lancement de la véritable économie d’entreprise. Les mesures sociales tendues vers la généralisation du soutien des prix à une multitude de produits de consommation, et vers l’insertion professionnelle des jeunes chômeurs- prorogation des contrats pré-emplois sans limites fixes, encouragement du microcrédit (Ansej, Angem, CNAC)- étaient vues par les analystes, lors de leur entérinement entre février et mars 2011, comme une réponse sociale à une demande…politique de changement. Le pouvoir politique, quant à lui, y a mêlé les deux objectifs- social et politique- et a tenu à sortir le  »grand jeu » avec les promesses de réformes politiques articulées autour de l’amendement de la loi électorale, de l’introduction d’une législation spéciale sur l’ouverture vers l’audiovisuel privé et la révision constitutionnelle. Entre-temps, les codes de la commune et de la wilaya ont été amendés; mais, sans qu’il y ait une véritable révolution dans ce domaine, puisque l’appareil exécutif et administratif semble bénéficier toujours de la primauté par rapport aux instances élues. Le  »Printemps arabe » avançait géographiquement, éliminait d’anciens présidents jugés comme étant des  »despotes », et les Algériens commençaient à se persuader- face au chaos entraîné par ce mouvement et aux horizons incertains qu’il offrait aux citoyens- qu’ils avaient fait leur printemps il y a trente de cela, en octobre 88. C’est d’ailleurs la première fois que les autorités officielles, contraintes de chercher dans l’histoire récente du pays une  »justification » à la placidité et au  »flegme » de nos concitoyens, ont eu à exhiber le « trophée » d’un printemps qui, ironie de l’histoire, fut qualifié en son temps, de « chahut de gamins qui a dérapé ». Pour puiser dans l’histoire du pays les raisons de la défiance des Algériens vis-à-vis du chaos qui passe comme un rouleau compresseur sur certains pays arabes, il a été aussi rappelé la décennie noire du terrorisme et même à la guerre de Libération nationale déclenchée il y a presque soixante ans. Les bons arguments arborés pour expliquer la non-implication des Algériens dans une aventure peu sûre, seraient-ils compris aussi comme une espèce d’esprit fataliste qui accepterait toutes formes de dépassements pour avoir été échaudé et brûlé par des expériences politiques coûteuses et traumatisantes? Si une tentation de cet acabit devait exister, elle relèverait de la stupidité politique, qui s’apparenterait même à une forme de suicide; cela est patent, d’autant plus que- après les premières années de l’Indépendance où la légitimité historique pouvait justifier un certain  »consensus » autour des idéaux de la reconstruction nationale, même si les règles démocratiques étaient froissées et foulées au pied-, les seules règles du faux  »consensus » en œuvre au cours de ces dernières années sont celles liées à la distribution de la rente. Consensus plus que fragile, puisque bâti sur un facteur volatile et éphémère. Face à une configuration aussi anomique et aussi flasque du jeu politique, l’intelligence et le sens patriotique voudraient que, un demi-siècle après l’Indépendance, un nouveau personnel politique émerge et prenne les commandes des rouages du pays.  A-t-on besoin encore d’une nouvelle « période de transition » après que ce concept fut colporté à tout va depuis l’ouverture politique de 1989? Cela fait quand même 23 ans! Hormis la parenthèse douloureuse de la guerre des Balkans (démantèlement de l’ex-Yougoslavie), le choc de l’ère du vent démocratique qui avait soufflé alors sur le monde, principalement sur l’Europe de l’Est, a permis aujourd’hui à des pays de modeste condition de s’arrimer au niveau de développement de l’Europe occidentale. Avec ses potentialités naturelles et économiques, quel grand dessein politique peut-on offrir à notre pays pour lui éviter un funeste destin ou une aporie historique?    

A. M. N

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