Par Abdennour Abdesselam
La langue berbère est d’abord une langue de culture. Elle s’est faite pendant longtemps au contact du monde du travail, des métiers, des traditions et des arts. Son support essentiel est le verbe « awal ». Son moyen de transmission est l’oralité. Le code oral est une forme de communication directe entre interlocuteurs présents et où la voix est audible. Cette situation impose aux interlocuteurs un certain effort à exercer sur la langue. On ne peut alors échapper au débat d’idées contradictoires. Contrairement au code de l’écrit où la voix n’est que visible, la communication est indirecte, les communicants sont absents et ont donc l’avantage de ne pas être soumis à l’effort et à l’exercice de l’obligation de l’argumentation immédiate. Cette caractéristique du code oral a rendu le verbe, dans le monde berbère, comme étant le centre de la compétition. Une expression lui est d’ailleurs désormais réservée. On dit « bu yiles medden akw ines » (le maître du verbe a toute l’attention de l’auditoire). Voilà une des raisons qui expliquent pourquoi notre langue plusieurs fois millénaires et sans support écrit demeure encore vivante. Mouloud Mammeri, dans la revue AWAL N°1, expose l’équation suivante « Le miracle n’est donc pas que le berbère ne soit pas devenu grande langue de civilisation; le miracle est qu’après plusieurs siècles d’agressions répétées et cumulatives (chacune se servant des résultats acquis par la précédente comme un tremplin) le berbère n’ait pas disparu comme ont fait, devant le latin en Occident, devant l’arabe en Orient, les langues anciennes du bassin méditerranéen ». D’autre part l’exercice du code oral fait apparaître trois niveaux de la langue appelés conventionnellement: les registres de la langue ou ighuraf n tmeslayt. On distinguera: Agharef LEWQAM (le registre de la langue familière), agharef TAQBAYLIT (le registre de la langue courante) et agharef TAMUSSNI (le registre de la langue savante). Il faut noter cependant que dans la culture berbère ces registres de la langue n’ont pas de signification sociale. Autrement dit, ils ne provoquent pas de subdivisions de catégories sociales données. C’est à dire de l’opposition entre riche/pauvre; instruit/non instruit et noble/petites gens. Tous participent au développement de la langue et à son évolution qui par la sagesse, qui par la poésie, qui par le conte, qui par le proverbe, qui par la chronique, qui par le récit etc. La langue chez nous est le fait de tout le monde. Les registres sont à la portée de tous parce qu’il n’y a pas « d’orthodoxie » linguistique. Mais nous notons cependant que n’ayant pas joui d’une des dimensions fondamentales que confère l’écrit dans la conservation de la langue, des pans entiers de notre culture ont disparu. Ce à quoi s’attellent la jeune génération sans pour autant se défaire des grands avantages de l’oralité.
A. A.
