Pollution et diversion

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Par Amar Naït Messaoud

Au moment où des séries d’affaires publiques sont, à la fois, mises sur la table et promises à de probables atermoiements, comme en a malheureusement pris le pli notre pays, des polémiques et des procès, relevant de l’idéologie et de la religion, sont en train d’encombrer les pages de quelques journaux arabophones, et de polluer davantage l’atmosphère, politique et culturelle, algérienne après le sévère brouillage de repères que l’actuelle période de transition a secrété. Des feuilletons- sans jeu de mots, puisque le journal Echourouk, réceptacle de tels écrits, les nomme ainsi- se sont étalés sur plusieurs jours où la parole a été donnée à des islamistes appartenant au parti dissous et à d’autres formations. L’ancien maire de la commune « islamique » de Bab El Oued, Kamal Guemazi, a eu droit à un entretien donné en 13 livraisons. Azeddine Djerrafa, ancien activiste de l’Est algérien, compagnon de Abdallah Djaballah, a eu droit presque au même traitement. Il reconnaît dans ses confessions des agressions commises dans les enceintes universitaires contre des étudiants démocrates, des troupes de théâtre, particulièrement celle qui avait présenté  »Mohamed prends ta valise » de Kateb Yacine. Cette pièce est présentée, volontairement par  l’interviewé comme une atteinte au Prophète de l’Islam, alors qu’elle traite de la condition des émigrés en France.  La semaine dernière, c’est Ali Benhadj, ex-numéro deux du FIS, qui a avait droit à une page complète où furent présentés des extraits d’une lettre qu’il avait adressée au président Abdelaziz Bouteflika, pour l’ « interroger » sur la destination et le devenir de l’argent public. Cultivant savamment le sens de l’opportunisme, Benhadj a voulu enfourcher la cause de la lutte contre la corruption, qui occupe ces dernières semaines le devant de l’actualité. Le support médiatique en question a fait allègrement fi de l’interdiction qui frappe le personnage en matière de déclarations publiques, en vertu des termes de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale votée par référendum en 2005. De même, sur le même organe et sur d’autres supports d’obédience similaire, une vive polémique a été enclenchée sur le salafisme en Algérie. L’on sait qu’une formation politique de cette tendance a vu le jour il y a quelques mois et attend son agrément par le ministère de l’Intérieur. À cette occasion, tout a été dit dans ces journaux, pendant plusieurs semaines, sur les « racines salafistes » des Algériens, sur les tendances salafistes des Oulémas algériens (Benbadis et ses compagnons), sur les anciennes doctrines exégétiques qui leur ont servi de base doctrinale et sur tant d’autres aspects relevant du  »sexe des anges ». Cette polémique a mis mal à l’aise le ministre des Affaires religieuses, lorsqu’on son conseiller en communication, Adda Fellahi, s’en est pris à cette tendance religieuse (salafiste) dans les médias. Il fera savoir qu’une grande partie des mosquées algériennes sont infestées par le salafisme et déviées de leur mission. Paradoxalement, c’est Adda Fellahi, en tant que fonctionnaire de l’État, à qui on a signifié la mise en fin de fonction en tant que chargé de la Communication au sein du ministère, alors que Benhadj n’a apparemment pas été inquiété par ses déclarations publiques relayées dans la presse. La dernière trouvaille est ce prétendu réseau de cellules maçonniques activant dans l’Est algérien et qui seraient en train de  »harceler » les étudiants de l’Université de Constantine pour les faire adhérer à leur « religion ». C’est le journal cité plus haut qui, transi d’inquiétude, a rapporté vendredi dernier, cette nouvelle. Mais, l’on n’a pas soufflé mot sur le grand forum qui se tient actuellement à Genève sur le dialogue des civilisations. Dans le Landerneau algérien, on s’emploie plutôt à accréditer la thèse d’une « guerre des civilisations »,  telle qu’elle est soutenue et prônée par Samuel Huttington. Les intellectuels algériens, de la trempe de Mohamed Arkoun et Abdelmadjid Meziane, qui avaient longtemps travaillé pour le rapprochement des civilisations sur la base de la compréhension de l’autre et de la tolérance, n’ont presque plus droit de cité dans de pareilles publications. Une vénéneuse entreprise idéologique de diversion tente ainsi de nous faire prendre l’ombre pour la proie, en focalisant les regards sur des questions subsidiaires que la démocratisation de l’État et de la société est censée pouvoir régler dans l’harmonie générale de la société. En tout cas, depuis plusieurs mois, le lecteur s’est ainsi trouvé inondé par une matière et harcelé par un sujet qui ne règlent aucun de ses problèmes quotidiens qui le poussent à barricader les routes nationales, à fermer des mairies et des sièges de daïras ou à faire des marches de protestation de 40 km aller-retour, comme l’on fait les chômeurs de Ouargla le 24 février dernier.

A. N. M.

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