Du système des quotas à une véritable émancipation

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Par Amar Naït Messaoud

Le thème de la femme a retrouvé dans notre pays, une sorte de  »fraîcheur » et de vigueur à la faveur de l’amendement de la Constitution intervenu en novembre 2008, où des articles portant sur la représentation de la femme au niveau politique et sur l’enseignement de l’histoire de la révolution de novembre ont été introduits, et à la faveur également de la nouvelle loi électorale, qui a instauré un régime de quotas pour les listes des candidats aux différents postes électifs. Cependant, deux erreurs d’appréciation sont à éviter dans ce genre de situation où l’on semble vouloir « forcer le destin » de la condition féminine d’une manière descendante, c’est-à-dire à partir des superstructures politiques. La première erreur est de croire qu’un tel procédé est capable d’enclencher une « révolution féministe » en Algérie; la seconde, ce serait de faire table rase des acquis sur le plan des droits des femmes depuis l’Indépendance; une évolution lente, mais sûre et irréversible qui n’avait requis aucune assistance arithmétique de type électoraliste ou d’ascension politique. Tout le mérite revient à la femme elle-même, ayant hérité de la guerre de Libération nationale des valeurs de lutte et d’émancipation que ses aînées avaient vaillamment défendues dans les foyers- en constituant la logistique et l’intendance des combattants se trouvant au maquis- et, pour certaines d’entre-elles, dans les maquis même (médecin, infirmière, agent de liaison, poseuse de bombe,…). L’impression générale qui se dégage de la célébration du 50e anniversaire de l’Indépendance, étalée sur plusieurs mois des années 2012 et 2013, est que la thématique de la femme est très insuffisamment prise en charge; cela, aussi bien sur le plan de la lutte que la femme a eu à mener, que sur les terribles conséquences de la guerre (conditions sociales des femmes veuves de chahids, filles de chahids). L’image des jeunes femmes qui ont perdu leurs maris ou leurs enfants pendant la guerre est majestueusement rendue par Aït Meguellet dans sa chanson Amjahed (1977). Quinze ans après la fin de la terrible épreuve, l’on ose à peine dire son mal, crier sa douleur et témoigner sereinement. Le tableau que le poète dessine est d’une insoutenable émotion: 

J’ai vu la fille de la montagne ;

-Mon esprit en est hébété-

Elle se morfondait sous un rocher,

Comme toutes celles qui emplissent nos villages.

Pauvre anonyme, tenant par sa main son fils :

Elle pleurait.

Son mari est mort, son corps perdu ;

Il fut parmi les premiers à s’exposer aux balles.

Son nom au vent s’en est allé.

Entre cette image  »verbale » restituant la guerre de Libération et la madone de Bentalha- photo d’une femme éplorée et affalée qui a fait le tour du monde, lors des massacres collectifs de triste mémoire commis dans cette banlieue algéroise en 1997- la femme n’a cessé de subir le poids d’une histoire qui lui est rarement favorable. Dans les grands conflits- comme viennent d’en témoigner certaines femmes battantes du monde arabe lors du forum organisé la semaine passée par le quotidien El Khabar- ce sont les femmes qui en sont les premières victimes. Pour les invitées du forum, le Printemps arabe a charrié des tentatives de remise en cause des droits de la femme acquis de haute lutte. Même dans les pays, comme la Tunisie, où le mouvement d’émancipation des femmes remonte aux années cinquante, les extrémistes religieux ne perdent aucune occasion pour dire tout le mal qu’ils pensent de cette belle avancée. Ce genre de remise en cause se passe dans un pays où des intellectuels, à l’image de Tahar El Haddad (1899-1935), se sont opposés au hidjab depuis le années 1920. En Algérie, le combat des femmes, tout en tenant une forte légitimité de la guerre de Libération, avait également acquis ses premières armes dans certaines luttes individuelles, à l’image de celle qu’a menée Taos Amrouche aussi bien dans ces romans que dans ses célèbres émissions radiophoniques relatives à la femme kabyle. Dans son roman L’Amant imaginaire, elle a devancé de quelques années la furie du féminisme qui allait s’emparer de l’intelligentsia européenne après les événements de mai 1968. Dans la préface qu’il a écrite pour le roman de Yamina Mechekra, ‘’La grotte éclatée’’, Kateb Yacine déclare que « dans notre pays, une femme qui écrit vaut son pesant de poudre ». Nous dirions aujourd’hui la même  »sentence » au sujet des femmes qui chantent (Djurdjura, Nouara, Malika Domrane,…), des femmes qui créent, enseignent, soignent, inventent, gèrent ou investissent. Sur le plan institutionnel, des retards persistent encore, particulièrement dans ce qui est du statut personnel, appelé chez nous Code de la famille. La vague de contestation soulevée par l’adoption de ce texte, en 1984, par l’APN, est historique. Dans les universités, dans les hôpitaux, dans les usines, devant l’APN (sur le boulevard Zighoud Youcef), des rassemblements, des protestations et des manifestations ont été organisés par les femmes structurées ou non dans les syndicats, dans les organisations de jeunes et de femmes et dans les cercles étudiants. La représentation politique actuelle de la femme- issu du système des quotas- pourra-t-elle aider la femme dans  son ascension réelle, telle qu’elle est attendue par toute la société? Sans doute, un autre combat commence: celui de redonner leur efficacité et leur pertinence aux institutions élues et administratives.            

A. N. M.

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