Pour un Sahara plus humain

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Amar Naït Messaoud

Par une série d’événements convergents, mais d’inégale importance, le Sud algérien se trouve, depuis plusieurs mois, sous les feux de la rampe. Après les remous d’une géostratégie régionale portée à son pinacle de tension- à savoir les répercussions de la guerre en Libye, la dissémination du terrorisme à une échelle inédite autour des frontières algérienne et l’intervention française au Mali-, le danger s’est fait plus  »parlant » en visant directement le cœur de l’économie algérienne à travers l’attaque du site de Tiguentourine en janvier dernier. Au même moment, une ribambelle de révélations, les unes plus corsées et plus scandaleuses que les autres, a commencé à pleuvoir à propos des actes de corruption ayant marqué la gestion du secteur des hydrocarbures. Même si l’on serait mal fondé à attribuer ce genre de révélations à des « complots ourdis par la main de l’étranger », comme a eu l’habitude de se défendre le pouvoir politique il y a quelques années de cela, la coïncidence et la synchronisation en cours ont probablement peu de chances d’être fortuites. Dans son communiqué diffusé à la fin de la semaine dernière, le Mouvement populaire algérien a montré son inquiétude par rapport à l’accélération des événements dans la région Sud du pays,  en parlant d’ « aventuriers politiques qui tentent de détourner des revendications sociales et économiques légitimes des populations du Sud ». En effet, l’on sait que, depuis le début des années 2000, un malaise social grandissant- fait de chômage persistant des jeunes, de manque de formation et d’absence de certaines infrastructures sociales indispensables- a fini par prendre des proportions inouïes en 2004, lorsque la ville de Ouargla a été assiégée par des milliers de chômeurs qui se plaignaient du mode de recrutement des entreprises pétrolières et parapétrolières, et surtout des entreprises de sous-traitance de main-d’œuvre. Ces dernières ont instauré un système de recrutement basé sur le bakchich, ce qui a anéanti tous les espoirs de jeunes démunis socialement de se voir recruter. En outre, s’il y a une part de vérité ou de condition légitime chez les sociétés qui réclament des qualifications spécifiques pour les postes qu’elles entendent pourvoir, des abus ont vite été constatés lorsque, pour des postes reconnus comme étant simples (agents de sécurité certaines activités d’intendance), il est réclamé un niveau d’instruction qui n’est pas très généralisé dans la région. Ce qui conduit lesdites sociétés à  »importer » de la main-d’œuvre à partir des autres régions du pays. Les formes d’  »injustices sociales » ne se limitent pas à la sphère pétrolière. L’instabilité des enseignants affectés aux wilayas du Sud, par ce qu’ils manquent de dispositifs d’encouragement (logement adéquat, prime de zone,…), a eu les résultats que l’on connaît en matière de performance scolaire. Le ministère de l’Éducation nationale en est arrivé à  »exempter » les bacheliers de certaines matières, à l’image du français et de l’anglais. L’on sait qu’une telle fausse générosité de l’État ne fait que compliquer les choses pour les futurs étudiants.

Un territoire et des défis

Les défis des distances et d’une géomorphologie hostile se liguent, sur ces latitudes sahariennes, avec les rigueurs d’un climat sec et rude. Ce qui génère des besoins spécifiques en matière de transport, de services de santé d’adduction en eau potable, d’électricité…etc. Le problème de dépenses insoutenables en énergie électrique pendant la période estivale pour les foyers domestiques et, sur le reste de l’année pour le secteur de l’agriculture, a été porté jusqu’aux travées de l’Assemblée populaire nationale. La solution peut ne pas être uniforme, comme l’on suggéré les responsables de l’Énergie et des Mines; c’est-à-dire, combiner le soutien à la consommation électrique et installer, lorsque les conditions s’y prêtent, des panneaux solaires individuels et collectifs. L’initiative a  été prise au niveau supérieur de l’État, comme sont lancées des opérations de grande envergure, voire des projets «  »pharaoniques » à l’image du projet de transfert d’eau d’In Salah à Tamanrasset  sur une distance de 750 kilomètres en plein erg occidental. L’Algérie vient de relever l’un des grands défis posés par le processus de domestication de la nature dans les régions sahariennes. Rendre disponible et accessible l’eau potable aux populations des wilayas du grand Sud algérien tient inexorablement du principe de l’équilibre régional et de la mise en application des règles du Schéma national de l’aménagement du territoire (SNAT) tendant à asseoir une politique d’utilisation rationnelle des territoires et des ressources. Cela est d’autant plus légitime que l’eau exploitée  est une eau saharienne; une eau dite  »fossile », de l’étage stratigraphique albien, laquelle constitue une nappe de plusieurs milliards de mètres cubes. Le projet est achevé depuis deux ans, et la ville de Tamanrasset- devenue cosmopolite avec toutes les communautés africaines qui en font leur destination légale ou illégale- est en train de vivre une révolution en matière de distribution d’eau. De même, sur le plan des infrastructures routières et ferroviaires, le plan d’investissements publics destiné au Grand Sud a mobilisé des enveloppes financières historiques. Il s’agit de réhabiliter la Transsaharienne (RN 1), allant d’Alger à Tamanrasset, et continuant, avec le concours de pays africains traversés, jusqu’au Golfe de Guinée, à Lagos. La route allant de Djanet à Tamanrasset subit également des travaux de revêtement. La boucle de chemin de fer, allant de Touggourt à Bechar, en passant par Hassi Messaoud, Ouargla, Ghardaïa, Adrar, est, une nouvelle fois, « brandie » par le gouvernement comme projet structurant à réaliser le plus tôt possible. Le territoire saharien, sur lequel pèsent des convoitises étrangères depuis que sa libération du joug colonial a été intimement intégrée dans la lutte de Libération nationale, continue visiblement à nourrir des fantasmes que la géostratégie mondiale tente de réaliser par des moyens détournés, y compris par le sulfureux Printemps arabe. La mise à niveau en matière de développement économique et social, entamée au milieu des années 2000 pour les wilayas du Sud, devrait être accélérée et, surtout, harmonieusement conduite, dans le respect des ressources naturelles et des spécificités de la région, afin de soustraire les populations locales aux manipulateurs de tous bords.  

A. N. M.

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