Le Haut Commissariat à l’Amazighité a organisé une rencontre scientifique de deux jours, les 2 et 3 du mois en cours, au niveau de la mutualité générale des travailleurs des matériaux de construction de Zéralda, dans le but de faire le bilan des 18 ans d’enseignement de Tamazight.
Le HCA a ressenti l’urgence de faire une halte et de porter un regard critique sur ce parcours, et par là même, chercher les voies et les moyens appropriés pour donner un nouveau souffle à cet enseignement. Cette institution rattachée à la Présidence de la République n’est pas restée insensible aux questions de l’heure, relatives à l’enseignement d’une langue non encore standardisée et d’une matière frappée du statut d’optionnel ou de facultatif, qui ne fait que freiner son élargissement. L’aspect sociolinguistique est sans conteste un paramètre désavantageux quant à son éventuel épanouissement, cependant, des stratégies allant dans le sens de pallier à tous ces désagréments ne relèvent pas non plus de l’illusion.
La volonté politique, élément clé pour y remédier
Dans son allocution d’ouverture, suivie d’une esquisse sur les perspectives et le devenir de tamazight, M. Merahi, secrétaire général du HCA, n’est pas allé avec le dos de la cuillère pour dire : « Au rythme où vont les choses, hormis dans 3 wilayas, l’enseignement de tamazight est en danger». Les arguments avancés par l’orateur sont multiples. L’orateur regrette que l’enseignement de tamazight qui touchait 16 wilayas en 1995, se retrouve à n’être effectif, en 2013, qu’au niveau de 10 wilayas. L’autre point de discorde évoqué par le conférencier est la question de la graphie. Ce problème et la polémique qui en est née n’arrivent toujours pas à connaître leur épilogue depuis des années déjà. D’ailleurs, les manuels scolaires confectionnés par le ministère de l’Education nationale présentent une polygraphie qui ne va pas dans le sens d’une démarche pédagogique saine.Remarque soulevée toujours par l’orateur sur les sujets du BEM et du Bac qui comportent également les trois graphies. Quant à la formation des formateurs, M. Merahi regrette la lenteur dans le lancement des écoles normales ou des instituts technologiques, à même d’assurer une bonne formation des enseignants. De son côté le représentant du ministère de l’Education nationale a dressé un tableau des réalisations qu’il estime positif et satisfaisant, compte tenu des avancées enregistrées par tamazight depuis son introduction dans le système éducatif.
Il n’a pas omis de rappeler à l’assistance que le département que dirige Baba Ahmed reste à l’écoute des doléances et est prêt à ouvrir des postes budgétaires en fonction des besoins.
La richesse est dans la diversité
Toujours dans la matinée de cette première journée, M. Tilmatine, professeur à l’université de Cadix en Espagne, aborde la question de la face voilée du kabyle dans l’enseignement de tamazight. Dans son intervention, l’orateur a mis en exergue le statut de la langue amazighe, «langue de tous les Algériens», tel qu’elle est qualifiée par les Pouvoirs publics depuis les accords du 22 avril 1995. Pour le conférencier, ce statut suscite moult interrogations qui ne vont pas dans l’intérêt de la cause. Une confusion est fortement signalée, car elle ne laisse pas place à une diversité qui va enrichir le champ sociolinguistique. Ce qui a suscité l’étonnement de l’hôte du HCA qui lâche tout de go :«A qui profite l’unicité?». Précis, objectif et convaincant, M. Tilmatine affirme que «Tamazight est, en fait, une construction abstraite et sans existence réelle sur le terrain». Et pour que cette situation dans laquelle se bat la langue chère à Mammeri retrouve la place qui est la sienne, il faudra impérativement qu’elle soit prise à bras-le-corps par les Pouvoirs publics, car, selon l’orateur, «les politiques linguistiques ont toujours échoué lorsqu’elles sont négligées par les institutions».
Une avancée remarquable, mais beaucoup reste à faire
Ali Lounis, inspecteur de Tamazight à Tizi Ouzou, a enclenché son intervention par un historique qui retrace les différentes étapes traversées par cette langue jusqu’au jour d’aujourd’hui. A suivre l’exposé on se rendra compte, effectivement, que nonobstant l’absence de moyens matériels et humains, Tamazight a réussi à «sortir la tête de l’eau» et à s’imposer de fait, n’en déplaise à ses détracteurs. Si l’on revient uniquement aux premières années de son introduction dans le système éducatif algérien, les formateurs n’avaient comme support pédagogique que «Tajerrumt» de feu Mammeri et quelques textes tirés du terroir. Mais, maintenant, des manuels scolaires sont à la portée des apprenants, et des programmes et autres guides d’accompagnement ont été confectionnés pour mieux orienter les enseignants. Avec tous ces acquis, un travail de fond sur le lexique ainsi que la méthodologie sont indispensables pour ramener cette langue à un niveau plus élevé.
Doter la langue d’une autorité académique et d’une autorité morale
Dans l’après-midi de cette même journée, Abderrezak Dourari, linguiste et directeur du CNPLET, aborde la question de l’évaluation de l’enseignement de Tamazight d’un autre angle. Ainsi, l’orateur ne manque pas de souligner l’avancée, sur les deux plans qualitatif et quantitatif, qu’enregistre cette langue sans pour autant faire abstraction des difficultés auxquelles elle fait face sur le terrain. Pour le conférencier, deux problèmes majeurs affectent Tamazight. Il s’agit des difficultés exogènes ou extralinguistiques qui relèvent des institutions et de la philosophie politique. Car, dit-il, « dans un Etat jacobin, une citoyenneté ne peut pas se tenir ». Aussi, Tamazight bute sur des difficultés endogènes ou inter et intra-dialectales. Tous ces blocages relèvent, selon l’orateur, de la résistance institutionnelle. Et pour motiver ses propos, M. Dourari retrace brièvement le cheminement de Tamazight depuis la crise berbériste de 1949 jusqu’au printemps berbère d’avril 80, pour dire : « Mammeri l’institutionnel, a été empêché de tenir sa conférence sur son livre à l’université de Tizi-Ouzou ! ». C’est pour cela, ajoute t-il, « qu’il faudra impérativement doter la langue d’une autorité académique et morale ». La deuxième journée de cette rencontre sera donc consacrée à l’enseignement de Tamazight à l’université ainsi qu’aux travaux d’ateliers portant sur les manuels scolaires et l’application du cadre commun Européen de référence pour les langues à la langue amazighe, atelier qui sera encadré par M. Tilmatine et Carmen Garraton Mateu.
S. M.