Les nouvelles de la terre

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Dans ce sens, l’auteur, nous déclare : « d’abord, nous devons l’écrire, avec pertinence, et la faire aimer écrite dans sa simplicité pour envisager de passer à l’étape supérieure. » à savoir écrire dans la langue tamazight « standardisé » serait comme l’arabe classique, la langue de l’autre voire de l’invisible.Tazaghart voulant évacuer cet enfermement d’écrire dans une langue tamazight seulement adulée et finement discourue, mais absolument non lue, se donne fortement ou forcément à « taqbaylit » du terroir et de son bastion d’ancrage oral pour traduire, par l’écriture, son atavisme. Des lors, nous saisissons le pourquoi de ses nouvelles qui sont composées dans une langue  » simple et limpide  » pour paraphraser le regretté Tahar Djaout – l’autre fervent de la cause amazighe et écrivain –, dans une réponse épistolaire à Brahim après la lecture de Tikli deg id (La marche nocturne) et Ferrudja.La plus illustrative des nouvelles composée dans cette langue vernaculaire est celle de Ssuq (Le marché). Celle-ci relate la vie d’un enfant Lakhdar après la mort de son père. L’enfant orphelin en bas âge, est devenu responsable d’une famille de plusieurs soeurs, dont une est seulement promise au mariage qu’il doit honorer. Et Lakhdar ne possède qu’une mule mais ombrageuse, motif pour lequel sa mère décide de la vendre. Plusieurs fois au souk, Lakhdar trouve enfin l’acheteur. Mais dans l’esprit de l’orphelin la cession de cette bête dangereuse à tout preneur relève de la tricherie, ce qui l’oblige à quitter précipitamment le marché avant que les agissements de l’animal ne soient découvert. Avec l’argent de la mule, il doit acheter une brebis; toutefois, l’idée de rencontrer au marché l’homme filouté lui a mis beaucoup de temps pour y retourner. Avec témérité, après un temps d’hésitations, l’enfant rencontre son il acheteur, certes avec quelque recul mais découvre un ami remarquableme. L’auteur, qui cherche à ancrer une tradition d’écriture et à faire accepter aux gens que taqbaylit ne peut surseoir à l’écrit, distingue cette nouvelle par la consécration de Lakhdar, comme le symbole des douleurs et de la prépondérance du courage du Kabyle vis-à-vis de la vie difficultueuse et de la misère, la conseillère de la sagesse. Ce Lakhdar est un homme de son époque à Tazmalt. Il existait, faisait partie de la catégorie des “imusnawen”, auxquelles la Kabylie doit encore sa survie et sa jalousie dans sa langue. Tazaghart a dédié cette nouvelle à son grand-père, le raconteur de ce récit, ami de Lakhdar. D’ailleurs, l’auteur projette de faire sortir de l’ombre à la clarté tous les hommes de sa région qui ont une empreinte quelconque et méritent de sortir de l’oubli ; pas comme le personnage contempteur de Akka kan (C’est toujours pareil!) qui n’épargne personne par ses critiques, mêmes des plus grands érudits qu’a fait naître la Berbérie, tels Tertullien, Augustin, Apulée, qui, à ses yeux, n’ont rien donné pour leur terre natale …autant que lui qui ne fait rien même de ses journées. Un indolent. Pareillement aux personnages décrits dans. Tufga (La sortie) c’est-à-dire à la sortie des lycéens, tous les parages du lycée sont bondés de la gent masculine épiant les jeunes filles qui font semblant d’esquiver les lieux par grappes. Reflet d’une société frustrée. Dégradations des mœurs. Leetlen (Combien ils ont tardé ?) décrit la superposition de la mémoire et du marasme au quotidien d’un moujahid, qui, en 1993, languissait son fils journaliste, menacé de mort plusieurs fois par les islamistes. En l’attendant, le vieux remonte les échelles de l’Histoire du pays et de tous les hommes et femmes ayant combattus l’ennemi à l’instar de Jugurtha, Takfarinas, Dihya, Cheikh Aheddad, El Moqrani, Fadhma n Summer jusqu’à ses frères de combat durant la Révolution 1954-62 dont beaucoup sont morts presque pour rien puisque la paix, comme son fils, tarde à (re)venir. Depuis le complot contre Jugurtha par son beau-père Bocchus qui aurait livré aux Romains à l’assassinat de Abane Ramdane par étranglement des mains de ses frères de combat, le désordre a pris le dessus dans notre pays. Et ceci pas comme une malédiction, terme que l’auteur rejette car pour lui ce n’est pas un fatalisme approprié à l’Algérie mais plutôt comme un anathème des hommes ignorants face aux intelligents et penseurs constructeurs. Sinon souvent une fois  » la liberté arrachée », la paix s’éloigne davantage de nous autant que le vieux perd l’espoir de voir son fils vivant.Le moudjahid, seul dans son silence, avec des images sourdes qui lui dévorent l’esprit, attendait. Revisite le passé, ne retrouve rien. Sa mémoire se perd dans l’inquiétude. Avec impatience, il attendait toujours son propre fils dans la folie. Tazaghart B. a distinctement, rendu un hommage aux parents meurtris des journalistes et autres humbles hommes et femmes assassinés par les hordes des islamistes.Pour Tikli deg id (La marche nocturne) Amnay, dans la nuit, en rentrant chez-lui, entendit une femme, en l’absence de son mari cette nuit-là, réinviter son amant qui vient de la quitter de revenir le lendemain. Il découvrait l’ostentation de sa société louant l’honneur et la dignité, pourtant bafouée. Sa société n’est pas saine comme il en a cru. L’infidélité et autres maux sont vieux comme ce bas monde. L’état décrit dans Amar est iconique quand le personnage, un émigré qui a refusé refuse de se marier à une française revient au pays pour fonder un foyer avec une Kabyle avec laquelle il a eu deux enfants mais suite à une circonstance indélicate se découvre qu’il est stérile.Ledjerrat (Les traces) est la nouvelle qui en prête son titre au corpus. Celle-ci, en décrit la première nuit d’un étudiant dans sa chambre universitaire. En allumant il voit des traces de pas allant du parterre jusqu’au toit. Ces traces de pas contournent la lampe, et celle-ci leur donne autant de clarté que de vie. L’étudiant est dans une situation de perplexité. Il se pose des questions sur l’origine de ces traces de pieds. D’où viennent-elles ? Qui peut en être l’auteur ? Un fou ? Un sage ? Il ne sait plus rien sauf qu’ » entre la folie et la sagesse il y a un empan où l’artiste s’y place « , pour situer un petit peu le génie des artistes. Rien que l’artiste qui est capable d’une fresque aussi réelle que belle sur le mur et le toit. Les artistes, sont les  » seuls qui s’aventurent dans les sentiers des jours, discrètement, sous l’ombre du silence, se racontent leurs malheurs et afflictions « . Le matériau de ces traces est simple : une semelle et de la fange. Ces traces sont celles de nos visions et de nous-mêmes. On ne sait pas.Dans Ferrudja (Ferroudja), une troupe théâtrale d’amateurs se prépare à participer au festival de Slimane Azem. Dans une maison de la culture les acteurs répètent leur pièce. Cette dernière relate la vie des dramaturges qui jouent une autre pièce où se mélange l’amour et la mélancolie mais qui n’empêche pas l’État, par l’intermédiaire de ses sbires d’accuser l’un des acteurs de colleur de tracts. Moralité. Dans le passé récent, celui qui faisait du théâtre, chante ou écrit en kabyle est un trublion briseur des fondements de l’unité nationale.De cette unité de la nation jusqu’à la répression est né le chavirement du peuple, surtout, de la jeunesse prise par Targit (Le rêve) cauchemardesque causant Tuber (Octobre) comme un ras-le-bol d’une époque en perdition.Enfin, Yemma Lkahina (La Kahina, ma mère) est la plus longue des nouvelles de Tazaghart; est aussi la plus difficile à situer de par son genre de mise en intrigue. Par sa complexité, elle décrit la prise de conscience d’un Kabyle pour son identité, revisite l’histoire, va à la rencontre des ancêtres, souligne la constance de sa langue que les temps n’ont pas pu effacer des mémoires. Mais quand, de nos jours, face au folklorisme, une crainte devient une peur de voir cette identité dissoute dans l’amnésie. Cette nouvelle est un cri contre l’oubli, contre l’abandon de combat des millénaires. Brahim Tazaghart est un écrivain prolifique, ne cesse pas de continuer un combat par l’écriture après celui mené dans le MCB et les associations culturelles des années durant. Depuis ce recueil Ledjerrat, il a publié un roman d’amour en 2004, Salas d Nuja et publiera dans peu de temps un recueil de poésie, intitulé : Akkin i tira (Au-delà de l’écriture ?) qui se lit comme on pourrait lire Baudelaire ou Lounis Ait-Menguellat, l’un de ses grands favoris. Tazaghart a pu convertir la sève de sa langue orale en écrite.

Nacer Mouterfi

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