Ne s'use que lorsqu'on ne s'en sert pas

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 Par Amar Naït Messaoud

En célébrant ce vendredi 3 mai la Journée mondiale de la liberté de la presse, l’Algérie s’avance en même temps sur un nouveau terrain, celui de la préparation à l’ouverture du domaine de l’audiovisuel sur les personnes morales de droit privé. Cette étape arrive vingt-trois ans après l’ouverture de la presse écrite sur les acteurs privés et vingt-cinq ans après l’explosion d’octobre 88 qui a libéré la parole de la muselière dans laquelle elle était maintenue pendant presque trois décennies. En déclarant la date du 3 mai comme Journée mondiale de la liberté de la presse, l’Organisation des Nations Unies se donnait pour objectif de contribuer à l’émancipation de la personne humaine par la libération de la parole.  Dans cette optique, la liberté d’information croise une autre exigence citoyenne, celle du droit d’être informé. En effet, il ne peut y avoir de véritable citoyenneté de démocratie solide, de justice sociale et de développement humain équilibré sans le libre accès à l’information et la liberté d’expression véhiculée par la presse et les autres supports médiatiques.  

« La liberté d’expression est un de nos droits les plus précieux. Elle sous-tend toutes les autres libertés et constitue un des fondements de la dignité humaine. Des médias libres, pluralistes et indépendants sont indispensables à l’exercice de cette liberté ». C’est là la teneur d’un message commun du secrétaire général de l »Onu, de la Haute Commissaire de l’Onu pour les droits de l’homme et de la directrice générale de l’Unesco, à l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse. L’Algérie est bien placée pour prendre la mesure des acquis en la matière et des espaces qui demeurent encore à conquérir.  Ce sont les enfants d’Octobre, massacrés au cours des émeutes qui ont lieu vingt-deux ans avant ce qui est aujourd’hui le « Printemps arabe », qui ont arraché la liberté de parole; liberté devenue affective dans la rue et les rassemblements populaires de l’époque, prise en charge par les partis politiques issus de la Constitution de février 1989, et consacrée par le décret de 1990 signé sous le gouvernement Hamrouche.  Deux ans après, une longue parenthèse s’ouvre en Algérie, celle appelée plus tard « tragédie nationale », et qui a vu l’islamisme armé assassiner cadres de la nation, militaires, policier, responsables politiques, intellectuels et journalistes. Ce qui était redouté comme possible chape de plomb sur la presse, suite au climat de grande insécurité de l’époque, n’eut pas lieu. Si certaines dérives, tels que quelques cas de harcèlement ou des limitations d’accès à l’information, s’étaient produites, c’était par la faute d’un zèle propre aux gouvernements successifs de l’époque. 

L’intégrisme armé n’a pas pu venir à bout de la liberté de la presse.

Des dizaines de journalistes ont payé de leur vie, le prix de cette détermination exemplaire à faire avancer la parole libre. Le premier du martyrologue de la presse a été Tahar Djaout dont on célèbre cette année le 20 anniversaire de sa disparition. Le lieu de la capitale qui héberge aujourd’hui un grand nombre de titres de la presse indépendante porte le nom de ce martyr de la presse et des idées.  Le président de la République est revenu, en 2009, sur cette tragédie en mettant en relief le puissant attachement de la société aux acquis démocratiques malgré l’épisode sanglant qui a duré plus d’une décennie: « La démarche de la voie du pluralisme politique et médiatique engagée au prix de douleurs, de tragédies, de sérieuses menaces sur l’État et la société et qui a vu les institutions disloquées, la confiance ébranlée, a cependant démontré l’attachement des Algériens et des Algérienne à leur droit à l’exercice démocratique et à la libre expression. La presse nationale, dans sa diversité a constitué à cet égard l’outil influent par excellence ».  

En souvenir de ces hommes qui ont, en Algérie, sacrifié leur vie pour consacrer la liberté d’expression- laquelle demeure toujours à renforcer et à parfaire-, quelle meilleure devise que celle adoptée, pour l’année 2013, par l’Onu pour célébrer cette Journée, à savoir: « Parler sans crainte et assurer la liberté d’expression dans tous les médias ».  Selon l’Unesco, le 20e anniversaire de la Journée mondiale de la liberté de la presse doit être consacré à célébrer les principes fondamentaux de la liberté de la presse, d’évaluer la liberté de la presse, de défendre les médias des attaques contre leur indépendance, et, enfin, de se souvenir des journalistes tués parce qu’ils faisaient leur devoir. Plus de deux décennies après les premières expériences de la presse indépendantes, qualifiées alors d’ « aventure intellectuelle », le bilan est globalement positif, malgré des contrastes et des ombres au tableau, liés à l’organisation générale de la corporation (relations de travail, déclaration sociales, rémunération,…), au code de l’information, aux recettes publicitaires,…etc. Sur un autre plan, les évolutions et progrès fulgurants enregistrés dans le monde des médias à travers le monde (télévisions, agences d’information, journaux électroniques,…) exigeront de plus en plus d’effort au sein même des rédactions pour la formation continue et l’adaptation aux nouvelles demandes sociales en matière d’information.  Ce qui entraînera le besoin pressant de spécialisation (environnement, économie, santé politique, culture,…). L’Université et les écoles de formation en journalisme sont, elles également, appelés à suivre aussi bien les évolutions qui s’opèrent dans ce domaine à travers le monde, que les besoins nouveaux de la société en matière d’accès à l’information.  Sous toutes les formes que la technologie moderne aura décidées pour elle, et dans l’Algérie qui cherche à asseoir, depuis plus de vingt ans, la voie démocratique de la vie en société la presse pourra être devenir ce  »grain de sable que les plus lourds engins, écrasant tout sur leur passage, ne réussissent pas à briser », selon la belle formule de l’intellectuel Jean-Pierre Vernant, dans son ouvrage La Traversée des frontières (Seuil-2004). En tout état de cause, et comme en a fait sa devise une célèbre publication satirique française, « la liberté de la presse ne s’use que lorsqu’en ne s’en sert pas »!                                  

 A. N. M

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