Des passerelles à inventer

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Par Amar Naït Messaoud

Sur les 450 propositions formulées, entre février et avril derniers, par les acteurs du monde de l’éduction lors de l’évaluation des réformes scolaires, telle qu’elle est menée par le ministre de l’Éducation, Abdelatif Baba Ahmed, on a enregistré très peu de références aux innovations portant sur le contenu culturel dont sont censés bénéficier les programmes scolaires. Et dire que cet «arsenal’’ de propositions est destiné à faire l’objet des assises nationales qui auront lieu en juillet prochain! En effet, outre le contenu technique des programmes, dicté par les impératifs de formation scientifique ou littéraire, l’école a de grands besoins en matière de formation de l’homme et du citoyen de demain. Ces mêmes programmes, sans un supplément d’âme culturel, seraient d’une telle sécheresse et d’une telle rigidité qu’ils seront plus boudés que recherchés. Dans la réalité ils le sont déjà. Avec une préparation, dès le primaire et le moyen, aux grandes réflexions sur la société et sur tous les domaines de l’intervention de l’homme à travers tous les âges de l’histoire, les élèves auraient eu moins de mal et moins de hantise à aborder à aborder le sujet de philosophie du baccalauréat qui a tant défrayé la chronique au début du mois en cours. Ils ne se seraient pas fiés à face book par l’intermédiaire duquel un mauvais plaisantin a passé un sujet de philo, le présentant comme étant le sujet du bac. Même le ministre de la Communication s’est mis de la partie pour regretter un tel faux pas de ce réseau social, passant sous silence la grande tare de l’école algérienne qui a conduit les élèves à réviser des sujets de grande importance à la veille même de l’examen. Particulièrement pour les matières histoire, géographie, langues, philosophie, les révisions sont supposées être très légères et ne porter que sur de menus détails; le gros est censé être le travail de chaque jour, depuis la rentrée scolaire, voire depuis les classes de seconde et de première, puisque, dans le domaine des sciences humaines et des lettres, la continuité et la concaténation dans les idées et la réflexion est généralement la règle. Il se trouve que, non seulement l’enseignement des matières en question manque de pertinence, de coordination (vases communicants entre matières) et de contextualisation qui le feraient déborder sur des questions d’actualité et de société mais également que, en dehors des heures passées à l’école, les élèves ne sont pas branchés sur les questions culturelles qui auraient tissé de fertiles passerelles avec les matières dispensées en classe. Le ravalement dont ont pâti les matières et les modules inhérents aux sciences humaines coûtera inévitablement cher aux futurs adultes, destinés normalement à être aussi de futurs citoyens, c’est-à-dire des hommes et des femmes conscients de leurs droits et devoirs et prêts à les assumer par des choix mûrement réfléchis en votant, en intégrant un parti politique, en créant des associations, en activant dans un syndicat, en se donnant pour destin d’assumer des responsabilité de maire, de député…etc. La tentative qu’a faite l’ancien ministre de l’Éducation, Boubekeur Benbouzid, d’introduire l’enseignement des droits de l’Homme et…les tremblements de terre à l’école n’a pas dépassé le stade de l’intention. Même si ces deux questions avaient alimenté les commentaires de presse au milieu des années 2000, les responsables de l’Éducation avaient les pinceaux mêlés au point de ne rien entreprendre du tout. À la rentrée scolaire 2012/2013, la rue et une certaine presse avaient prêté au nouveau ministre la volonté d’introduire dans les écoles le code de la route, en lieu et place de la chariâa. Une levée de boucliers s’ensuivit, si bien que le ministre renvoya la question à l’étape de l’évaluation des réformes. Cette étape intervint en février 2013 et donna naissance à 450 propositions de changement. Il y a lieu de noter que ces dernières, venues d’horizons très diversifiés, charrient une kyrielle de contradictions dont on ne sait par quel tour d’adresse l’administration se tirera à bon compte. À ce niveau d’avancement du dossier de la ‘’réforme des réformes’’, serait-il trop tard pour le département de Baba Ahmed de se pencher sur des propositions précieuses qui peuvent venir de n’importe quel milieu de la société en dehors des structures de l’Éducation?  En effet, personne n’a l’apanage de la formule idéale dans ce domaine, comme dans les autres domaines de la vie. Et c’est pourquoi, l’évaluation des réformes a certainement pêché par défaut d’investir le monde associatif, celui des parents d’élèves, les milieux scientifiques indépendants,…etc. Les exemples ne manquent pas. Si, pendant la grave crise de Beriane (Ghardaïa), ‘’arbitrée’’ par le ministre de l’Intérieur, des représentants du monde associatif mozabite avaient revendiqué l’enseignement du rite ibadite à l’école, au même titre que l’enseignement religieux d’obédience malékite, d’autres animateurs culturels ont fait d’autres propositions qu’il serait intéressant de soumettre à débat. Il en est ainsi de ce directeur de la maison de la culture de Tamanrasset, Abdeldjalil Keddidi, qui, en avril dernier, a proposé que les peintures rupestres du Sahara soient introduites dans les programmes de l’éducation nationale. « Nous espérons introduire cet art dans les programmes et manuels scolaires de l’Éducation nationale pour que nos enfants puissent s’imprégner de l’histoire de leurs ancêtres et des civilisations anciennes d’une part, et développer leur esprit de créativité de l’autre ». C’est là une des voies de salut qui pourraient extirper l’école algérienne de la tour d’ivoire dans laquelle est s’est engoncée, et qui est à même de faire de l’enseignement et de l’éducation les bases inébranlables sur lesquelles sera réalisée la véritable intégration nationale et s’édifiera la démocratie.

A. N. M.

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