On serait tenté d’emprunter à Matoub Lounès le titre de l’un de ses albums, à savoir ‘’L’Ironie du sort«; pour caractériser et qualifier ce que le destin exceptionnel du nom du barde kabyle vient de connaître dans la ville de Tizi Ouzou. En effet, l’arrêté que vient de signer le wali de Tizi Ouzou pour baptiser le carrefour de l’entrée de la ville chef-lieu de wilaya du nom de Matoub Lounès est tout simplement historique. Historique sur un double plan. La toponymie algérienne des rues, places publiques et carrefours n’a pas subi de changements de ses procédures depuis longtemps. En dehors des Chouhada et de quelques noms plus ou moins connus de notre histoire, cette toponymie n’a pas pour réputation de puiser dans le creuset dans le monde de la culture algérienne actuelle, celle qui fait vibrer les jeunes et les moins jeunes, celle qui se dit, qui se vit et qui se célèbre chaque jour dans les foyers, à l’université et dans les places publiques. Les Chouhada ont la reconnaissance éternelle de la nation. Même les rues et boulevards qui en portent les noms, se trouvent malheureusement en manque de vulgarisation et de médiatisation. Le facteur ne connaît que l’ancien nom colonial de la rue, ou bien, il situe cette dernière, comme l’ensemble des citoyens d’ailleurs, par rapport à une structure quelconque relevant d’un service public (hôpital, Sonelgaz, SAA,…). L’on est même passé maîtres dans la raillerie et l’autodérision, en appelant nos quartiers par des noms bizarres nourrie par la gouaille le sarcasme populaire (quartier des 12 salopards, cité La joie,…). À défaut de cet esprit inventif, on se contente du nom par lequel l’OPGI a inscrit son programme (cité des 150 logements,…). Sur un autre plan, intégrer officiellement dans la toponymie algérienne le nom de Matoub Lounès est un geste chargé d’une grande valeur politique et symbolique. Il ne s’agit nullement d’une vaine entreprise de ‘’réhabiliter’’ le poète assassiné il y a exactement quinze ans. Matoub n’a pas besoin d’un tel geste. Son œuvre et son public suffisent à perpétuer son nom et à le transmettre à la postérité. Cependant, en baptisant du nom de Matoub un carrefour de la ville qu’il a tant chantée et portée dans son cœur, la wilaya de Tizi Ouzou a su regarder dans le sens de l’histoire. Les anciens responsables de la wilaya n’ont pas osé agir comme vient de la faire M. Bouazgui, sans doute que le moment de la maturité est venu pour regarder les réalités de face, de prendre conscience de l’Algérie plurielle par sa culture, ses traditions, sa conception du monde, Matoub est immanquablement… au carrefour de cette pluralité.
Amar Naït Messaoud
