Par Amar Naït Messaoud
Devant les défis qui restent à relever en matière de défense des droits de l’homme, on aurait pu faire utilement l’économie des dissensions, liées à l’intendance et à la gestion interne, au sein des organisations qui se donnent pour ambition ce bel idéal, c’est-à-dire la défense des droits de l’homme, sans lequel la construction démocratique serait un vain mot. Indubitablement, tous ceux qui tiennent à ce principe de défendre l’homme et le citoyen, sans préjugé d’appartenance idéologique, raciale, religieuse ou autre, sont aujourd’hui révulsés par les guéguerres qui minent les structures de la Ligue Algérienne pour le Défense des Droits de l’Homme (LADDH), présidée depuis fin 2012 par Me Noureddine Benissad. Une aile de cette organisation, conduite par Kamel Eddine Fekhar, membre du comité directeur et responsable du bureau de Ghardaïa, accuse expressément l’actuel président de la Ligue et son prédécesseur, Me Mustapha Bouchachi, devenu député du FFS en mai 2012, de « malversations », dont ils seraient les auteurs, dans la gestion des fonds de la Ligue. » Nous ne savons pas où et comment est géré l’argent de l’association. Les finances sont gérées en dehors des canaux légaux», soutient Kamal Eddine Fekhar. Ce dernier reproche au staff dirigeant de la Ligue qu’il n’y ait pas eu de passation de consignes entre maîtres Benissad et Bouchachi, lorsque ce dernier démissionna de la présidence à la suite de son élection au poste de député. Le responsable du bureau de Ghardaïa exige, dans la foulée de ses revendications, la tenue d’une assemblée générale, en présence du président d’honneur, maître Ali Yahia Abdennour, âgé aujourd’hui de 92 ans, pour, estime-t-il, « tirer les choses au clair ». De son côté Me Ali Yahia semble trouver ici l’occasion de rebondir sur un sujet qui n’a réellement jamais quitté la sphère de ses préoccupations. Il n’hésite pas à étaler dans la presse tout le »bien » qu’il pense des deux présidents de la Ligue, qui ont pris les commandes après lui, et cela au-delà de la stricte gestion financière. Ces deux personnages auraient porté atteinte, selon l’ancien président, à l’image de la Ligue par une gestion qui a conduit à une situation de « blocage, de léthargie et de paralysie ». « Bouchachi, qui avait la haute main sur l’argent de la Ligue, avec le secrétaire général et le responsable des finances, ne se sont pas soumis à un contrôle financier par le comité directeur et le conseil national. La ligue était pour eux un bien de famille », accuse Ali Yahia. Il parle d’un véritable »culte de l’argent ». Il estime, en parlant de l’actuel président de la Ligue, qu’ « on ne peut pas combiner deux logiques aussi opposées, la démocratie, qui n’est pas seulement une référence, mais une pratique qui exige le primat de la liberté et le pouvoir personnel, qui exige obéissance, soumission et subordination ». Les regrets de tous les défenseurs des droits de l’homme, devant de telles situations de déchirements, sont d’autant plus justifiées que l’Algérie a encore un grand besoin d’accompagnement dans son processus de démocratisation de la société et des institutions, dans le domaine de la culture des droits de l’homme. L’on se souvient que l’ancien ministre de l’Éducation, Boubekeur Benbouzid, avait promis que l’enseignement des droits de l’homme allait être intégré dans les cours d’éducation civique. Jusqu’à présent, il n’en est rien. Sur le plan de la vulgarisation de la culture des droits de l’homme, l’on doit cependant une reconnaissance appuyée à un photographe de talent, Mohand Abouda, qui a fait un travail artistique de grande qualité en publiant un dépliant carte postale contenant les 30 articles de la Déclaration universelle des Droits de l’homme. Ses sœurs, le groupe Djurdjura, ont chanté depuis le début des années 1980, les droits de la femme et les droits de l’homme, comme les ont pris en charge d’autres chanteurs et poètes de Kabylie (Aït Menguellat, Ferhat, Matoub,…). Au vu de son parcours épique, particulièrement dans la lutte pour le recouvrement de son identité et de sa culture, la Kabylie a été aux avant-gardes de la lutte pour la défense des droits de l’homme. L’élite de la région, avec les hommes éclairés des autres régions du pays, a été à l’origine de la création de la première ligue des droits de l’homme. C’était en 1985. Ses membres se retrouveront, dès le 5 juillet de la même année, incarcérés au pénitencier de Berrouaghia. Alertée par des manifestations publiques, l’opinion mondiale a contraint le régime politique de l’époque à libérer ces militants. Cependant, il a eu recours à une ruse traditionnelle, propre à toutes les tyrannies: il a créé sa ligue parallèle, officielle, pour espérer donner une « bonne image » de lui-même. Une partie des militants de la ligue originelle n’ont pas hésité à créer une autre ligue en 1989. Au moment de la crise sanglante du terrorisme, cette dernière a eu à vivre des moments très difficiles, accusée par certains de défendre l »’indéfendable », c’est-à-dire la dialogue national qui impliquerait les chefs du parti dissous. Les choses se compliqueront davantage avec la participation de Ali Yahia au sommet de Saint ‘Egidio qui avait réuni, en 1995, l’opposition algérienne dite »réconciliatrice ». Celui qui a eu à vivre toutes ces péripéties comme acteur majeur, à savoir maître Ali Yahia Abdenour, est aujourd’hui appelé à »arbitrer » entre les différentes ailes qui se déchirent. Peut-on éviter de prendre l’ombre pour la proie?
A. N. M.
