Par Abdennour Abdesselam
Sur des musiques empruntées à Cherif Kheddam, Ssi Moh ou encore à Mdjahed Hamid, la chanteuse Tenna sublime l’ensemble qu’elle nous offre avec beaucoup de caractère. Elle ajoute aux reprises musicales des textes de haute facture tant sur le plan de la composition langagière que sur les thèmes traités qui sortent de cette ambiance qui tourne en rond. Tenna se positionne sur toutes les questions qui empoisonnent la vie sociale, culturelle encore et surtout politique. L’intégrisme islamiste et passé à la moulinette du rejet, non sans lui opposer la libre religiosité que lui ont léguée ses parents. Une religiosité de seul rapport à Dieu dont elle semble clairement avoir une interprétation philosophique. Elle dispute ainsi à ce mal du siècle une personnalité toute éprise de liberté de conscience, une liberté de pensée, une liberté de parole et une liberté de concevoir et de traduire le monde hors des cadres rigides d’un autre âge que veut imposer cette férocité intégriste. Tenna qui intitule son répertoire « Blessures » (Ideddicen), une production hybride chez Izem Pro et Caliey Groupe, ne veut pas que ses blessures, qu’elle partage par ailleurs avec toute une société soient un coup d’arrêt à sa résistance. Elle lutte, elle continuera de lutter sur ces chemins où chaque pas se pose difficilement pourtant. Elle refuse ainsi de se résigner. Non ! dit-elle je ne me laisserai pas défaire. Je resterai debout tel ce chêne (celui du Djurdjura) qui affronte toutes les furies qui viennent, de loin, chargées de haine, se fracasser contre sa carapace aussi dure et résistante que la force des mots dits à la hauteur du cri qui proclame et réclame l’espoir, ce cri qui sort des entrailles d’une femme décidée et surtout convaincue. Tenna n’est pas de ces paroliers qui déclarent machinalement un certain amour plat du pays. Elle aime son pays autrement. Elle l’aime avec projection sur son devenir, voire son advenir. Voilà pourquoi son discours est profond, un discours d’épaisseur qui tire la société vers le haut. En ce sens, elle innove en la matière. Les musiques, empruntées à des maestros de la chanson kabyle, ne sont que prétextes destinés à mobiliser l’auditoire pour entendre un autre discours loin du ronronnement. Chacun de ses textes est une anthologie, une invitation à prendre conscience que l’on peut penser aisément en kabyle sur des sujets d’aventure relevant de ceux qu’on appelle communément « les lettrés ». Pour Tenna on peut aussi être lettré directement en kabyle, pour peu que l’effort se fasse et que l’on prenne suffisamment conscience de ce que nous sommes et de ce qu’est notre propre réalité.
A. A.