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Pour quel nouveau contrat de confiance?

Le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, attendu demain dans la ville des Genêts pour une visite officielle, avec son staff composé de

plusieurs ministres, saura-t-il aller dans le sens des espoirs et des attentes historiques de la population de la région?

Même si, habituellement, le déplacement d’un responsable de ce rang pour une journée dans une wilaya est circonscrit plutôt dans le style  »protocolaire », la visite de Sellal à Tizi-Ouzou est loin de se conformer à ce schéma tant sont, depuis longtemps, enfouies les frustrations et grandes les attentes dans cette  »province » dont le chef-lieu n’est qu’à 100 km d’Alger. Et pourtant ! Si l’on ne prend que cette dernière donnée, la distance par rapport à la capitale, elle prend parfois les allures d’une véritable  »équipée », vu que la route nationale n°12, qu’on appelle parfois autoroute, prolongée par la RN5, avec ses faiblesses techniques et ses barrages, constitue un vrai calvaire pour les voyageurs et les transporteurs. Le projet de chemin de fer électrique n’arrivant pas encore à être concrétisé. La wilaya de Tizi-Ouzou, eu égard à son relief accidenté prend l’aspect d’un territoire isolé vers l’Est et le Sud. Elle ne s’ouvre que par la vallée du bas Sebaou, sur les wilayas de Boumerdès et Alger. D’une superficie de 2 958 km2, elle compte 45 communes. Sa population, au dernier recensement général de la population et de l’habitat (RGPH), est de 1 119 946 habitants. 33 % de son territoire sont classés comme faisant partie de la surface agricole utile (SAU). 34 % sont occupés par les forêts et les maquis. Les limites de l’économie kabyle traditionnelle (artisanat, arboriculture) ont été atteintes depuis longtemps. Les investissements publics, même du temps des  »programmes spéciaux », n’étaient pas assez conséquents (Sonitex,  laiterie de Draâ Bekhedda, Eniem). Les jeunes de la région ont appris que leur destin professionnel est rarement inscrit dans ce territoire. Émigration vers la France, qui continue un mouvement historique qui avait commencé avec la première Guerre mondiale, émigration intérieure vers les villes limitrophes qui offraient des possibilités d’emploi (Rouiba, Réghaïa,..) et déplacement vers les chantiers pétroliers du Sud. Tels étaient les possibilités offertes aux jeunes Kabyles avant la grande crise sociale qui frappera tout le pays. Au cours des vingt dernières années, même si des solutions individuelles étaient à la portée de certains jeunes ou ménages, la Kabylie s’est nourrie plus de colère et de protestation que de travail. Les pensions des émigrés et des Chouhadas, qui ont maintenu, un tant soit peu, la cohésion sociale, sont en train de décliner dangereusement. Elles ont même nourri des conflits familiaux homériques qui ont abouti à des actions en justice. L’action de développement de l’État a souvent fait face, particulièrement au début des années 2000, à des obstacles inouïs. Outre l’insécurité qui a compris l’investissement dans certaines zones, des difficultés réelles ou factices se sont mises en travers de la mise en œuvre des projets. Si le problème de l’indisponibilité du foncier et de la nature accidentée du relief est bien réel, il a néanmoins été exagérément présenté comme un prétexte pour consacrer une forme de mortel statu quo. En effet, l’on a pu constater que les taux de consommation des crédits de payement mobilisés pour les opérations d’équipement publics ont rarement dépassé les 40 % en fin d’exercice. Les opérations de choix de terrain pour les projets sont souvent mal  »négociées ». Les oppositions se multiplient contre les projets de raccordement des villages au gaz naturel, contre les centres d’enfouissement technique des déchets, et même contre les l’installation de barrages hydrauliques. Le projet de barrage de Tizi n’Tleta n’arrive pas à avancer à cause du problème lié au montant des indemnisations. Les terrains agricoles sont, dans la wilaya de Tizi-Ouzou, à 96 % privés. Pour des opérations d’investissements publics (infrastructures routières, chemins de fer, barrages hydrauliques,…), c’est aux pouvoirs publics de prévoir, dans le devis, les acquisitions de terrain au prix marchand. Là on aborde un problème de fond, celui de la centralisation excessive de l’administration et de l’État; phénomène qui évacue les spécificités naturelles, écologiques, sociologiques, au profit d’une vision et d’un…devis uniques. Les investissements sur les Hauts Plateaux, sur la côte d’Alger ou  sur les montagnes du Djurdjura sont loin de requérir les mêmes moyens et de charrier les mêmes charges vénales. Il est temps que les wilayas et les collectivités locales acquièrent un minimum d’autonomie pour assurer le développement des régions.

Pour toutes ces raisons, les attentes de la population de la wilaya de Tizi-Ouzou se situent au-dessus et au-delà d’une visite protocolaire. Le Premier ministre en est bien conscient, lui qui a eu à visiter d’autres wilayas, plus d’une dizaine en l’espace de six mois, et qui a eu à prendre le pouls des besoins de la société. Les jeunes diplômés chômeurs, les investisseurs privés potentiels, les commerçants, les habitants des zones touristiques et d’autres acteurs de la société attendent des gestes concrets de la part du gouvernement pour relancer la machine économique et asseoir une stabilité sociale. Par rapport à une défiance historique vis-à-vis de ce qui est appelé  »l’État central », la wilaya de Tizi-Ouzou attend la véritable réconciliation, celle qui se construit sur la base du développement et de la promotion sociale des populations. Les signes patents de l’essoufflement sont déjà là: chômage, banditisme, conflits fonciers, suicide, violence de toutes sortes, …etc. Une sorte de « rébellion sociale » sustentée en permanence par le vide et l’adversité. La visite du staff gouvernemental dans la ville des Genêts est vue ici comme une occasion précieuse, qu’il ne faudrait pas rater, de redonner espoir, sur la base d’un nouveau contrat de confiance, à une région qui a tant donné pour l’Algérie.

Amar Nait Messaoud

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