Sans doute que si elle n’avait pas connu la souffrance dès son jeune âge, Nina Bouraoui n’aurait pas pu devenir la grande romancière qu’elle est. A 38 ans, elle est couronnée par le prestigieux Prix Renaudot. C’est elle-même qui le dit dans une interview parue cette semaine dans le Journal du Dimanche. Née à Rennes, elle se rend en Algérie avec sa famille. Nina Bouraoui avoue avoir eu une enfance solitaire et à 10 ans, elle comprend que l’écriture pouvait être un mode d’expression. “Je voulais être aimée, j’ai longtemps eu un problème d’identité entre fille et garçon. L’écriture a été une zone franche, dit-elle. Nina Bouraoui a envoyé par la poste, à l’âge de 24 ans, son premier roman intitulé “La voyeuse interdite”. Ce livre, sorti en 1991 chez le grand éditeur parisien Gallimar, obtient le prix du livre inter, l’année même de sa parution. Le livre a rencontré un succès. Pourtant, Nina Bouraoui reste modeste et simple. Elle confie au JDD qu’elle n’en est pourtant pas fière et elle a mis du temps à s’en défaire. Elle estime qu’on apprend à écrire en écrivant et qu’on est perfectible.Le style est une affaire de sensualité “Je ne me vois pas comme une intellectuelle. je me sens une artiste et j’écris avec cette idée là”. A 25 ans, Bouraoui connaît une période de non-écriture. Elle n’y arrivait plus. C’est alors qu’elle découvre l’œuvre d’Hervé Guilbert : “J’en ai fait une lecture charnelle, j’étais fascinée par son abandon. Il se met en danger. J’ai connue une transmission de force, on peut prendre à un écrivain sa force”. Nina Bouraoui explique que sa question en tant que romancière est toujours la même, comment imposer sa propre voix ? Elle s’explique : “Je vis dans un monde violent, alors j’ai une écriture violente. La vraie souffrance vient de là. Il n’y a aucune séparation”.Son roman primé, “Mes Mauvaises pensées”, raconte l’histoire d’une rédemption par la beauté et l’amour. Bouraoui a, dans son écriture, une quête d’esthétisme. Mais ce n’est pas fabriqué, c’est humain. Elle dit ne pas écrire de livres sur elle et elle invite beaucoup de thèmes, de mode, de lieux, dans ses romans : Le métissage, l’Algérie des années 1970, la langue. “Je suis arrivée à Paris à l’âge de 14 ans. Ma mère est française. Mon père est algérien. Je suis citoyenne française. Mais il me faut encore aujourd’hui me justifier. Je suis obligée d’entendre : écrivain français d’origine algérienne. Ça me fait mal”.Nina Bouraoui, a-t-elle honte de ses origines comme le laisse transparaître cette phrase, ou bien a-t-elle tellement trop subi dans cette terre si rude qu’elle ne veut plus entendre en parler. Nina Bouraoui a, au moins, le mérite de la sincérité.A propos de cette distinction qui la propulse dans la cour des grands, elle souligne que la sortie de La Voyageuse Interdite, l’a plongé dans la culpabilité et elle ressasse qu’elle ne méritait pas ce succès. Mais le Prix Renaudot la rend heureuse. C’est son neuvième livre qui est primé. Mais Nina Bouraoui rassure que la reconnaissance ne peut pas lui tourner la tête. Elle n’a plus l’âge de s’égarer, elle a toutefois peur de perdre un jour son écriture : “Mon désarroi est là. Le reste, à côté, ce n’est rien. Je suis ma seule ennemie. Les critiques négatives peuvent bien sûr me faire pleurer. Quand on dit : “Je n’aime pas votre livre”, j’entend forcément : “Je ne vous aime pas vous”. Je ne pense pas écrire des livres sombres. Ils sont éclairés par l’amour. Pour Nina Bouraoui, le métier de vivre et un métier difficile à exercer et on ne peut pas s’éloigner longtemps de l’idée de la mort. Cette romancière estime que sa mémoire est une maladie, elle se souvient de tout, elle a une mémoire encombrante, parfois joyeuse, précise. “Je suis hantée par des odeurs, des lumières, des corps. J’ai adoré l’odeur du métro à mon arrivée à Paris. C’était l’odeur de la liberté. Je porte la mémoire de ma famille. L’écriture vient de mon père. J’ai toujours vu mon père un stylo à la main. quand j’écris, je prend sa place auprès de ma mère”. Elle explique que son nouveau roman est un édifice amoureux dont le père est le sommet. Elle dit n’écrire en aucun cas des autobiographies. Pour elle, il y a une reconversion du réel. Il existe, dans tout acte d’écrire, une invention. Nina Bouraoui conclut : “Je n’ai pas une écriture de la méchanceté. Je suis sans limites dans mon style. Mais j’ai ma morale d’écrivain. Je ne veux pas mettre en cause les autres. Ecrire, c’est raconter les gens, le monde, soi. Ce n’est pas faire un rapport de police. Je ne pratique pas la délation”.
A. Mohellebi