«Nos ennemis de demain seront pires que ceux d’aujourd’hui» dixit Mouloud Feraoun

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Par Abdennour Abdesselam

Le journal de Mouloud Feraoun restera un Best-seller de l’histoire de la guerre d’Algérie, vue et vécue directement par l’auteur. L’ouvrage édité à titre posthume est une chronique au quotidien et dans le vif du vécu des Algériens pendant la guerre de libération. Entamé le 1 novembre 1955, il est interrompu sèchement le 15 mars 1962, date de l’assassinat de l’écrivain. Le « Journal » reste inépuisable par la teneur et la portée des témoignages. Il n’est pas un roman, il n’est pas une nouvelle. Il n’est pas forcément un travail d’historien et d’histoire classique qui analysent et qui interprètent les événements. Le « Journal » de Mouloud Feraoun est un témoignage donné sous la forme d’un « tel quel ». Les événements douloureux décrits ou subits sont rapportés sans protocole ni précaution d’usages aucune. En témoin direct, averti et responsable Mouloud Feraoun n’a arrangé ni déformé l’information rapportée à la manière du positivisme. L’histoire est ce qui s’est vraiment passé et non ce qu’on aurait voulu qu’il se passât. Pour ce point précis, il est connu que comme ce sont ceux qui triomphent qui écrivent l’histoire, ce qui est décidé être légal n’est souvent pas toujours de la légalité. S’il est vrai qu’aucune révolution ne se déroule dans du velours, l’auteur témoigne de tous les dépassements atroces commis aussi bien du côté des maquisards que de celui des soldats de la France coloniale. Entre les deux, une population vivait dans le provisoire car chacun attendait son tour de disparaître. Les maquisards, écrit Feraoun, ne font aucun cadeau et aucun distinguo. Il suffit souvent d’un simple fil, même non conducteur et douteux, pour aller à la condamnation et à l’exécution. On imagine alors la terrible douleur que  ressentait l’auteur lorsque chaque matin il recevait, dans ses classes, presque à tour de rôle, un élève dont le père venait d’être exécuté durant la nuit baignée de terreur. Il assistait aussi impuissant aux nombreuses et abjectes exécutions sommaires des militaires français qui tiraient tout simplement et impunément dans la population, pour assouvir une vengeance des leurs, pourtant tués dans un combat loyal. Tout en prenant fait et cause pour la révolution, Mouloud Feraoun est resté un humaniste impénitent qui couchait ses observations, le soir venu, sur des pages d’écolier qu’il dissimulait, par peur d’une éventuelle perquisition. Mais au détour d’une page du texte, jaillit brusquement une phrase choc qui semble être passée inaperçue pour bon nombre d’analystes d’autant qu’elle était prémonitoire de ce que nous subirons trente années après l’indépendance. Une indépendance chèrement acquise. La terrible phrase annonçait dans son temps que « Nos ennemis de demain seront pire que ceux d’aujourd’hui ». Voila un autre axe de réflexion et d’analyse sur lequel le discours sur Feraoun devrait aussi porter, plutôt que de s’éterniser à confiner le romancier dans cette vision étroite et réductrice d’un « gentil instituteur écrivain scolaire du bled».  Le journal de Feraoun ne se lit pas d’un trait. Il n’est pas un bout à bout. Chaque année, chaque mois et chaque jour, rapporté(e), est une nouvelle entrée dans ce livre, redouté et recherché à la fois.

A. A.

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