Entre flânerie et vide culturel

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Devant la mini-gare routière sur la route de Dirah, à 19h40 autrement dit, à moins de 20 minutes de l'appel à la rupture du jeûne.

Par Amar Naït Messaoud

Les derniers voyageurs désespèrent de trouver un moyen de transport vers Sidi Aïssa ou Bouira. Ils recourent à l’autostop. Nous sommes à l’entrée sud de la ville de Sour El Ghozlane, au pied du mont Dirah. Face au lycée Al Ghazali, la RN 8 se vide progressivement de ses poids lourds et laisse poindre un silence religieux. La même atmosphère à la sortie nord, vers El Hachimia. La station d’essence de Mokrane sert les derniers véhicules. Certains conducteurs sont déçus de ne pas y trouver de l’essence sans plomb. Les minutes s’égrènent rapidement. Retour en ville après le f’tour. À 20h 45′, la rue Mezani, boulevard central qui fait encore la fierté de l’ancienne ville au bâti colonial datant du 19e siècle, commence à grouiller de monde, à montrer ses limites. Les voitures à la queue leu leu bousculent les piétons qui ne savent s’il faut se maintenir sur le trottoir – position difficile à tenir dans cette masse humaine -, ou bien s’il faut se mettre entre les voitures et suivre leur rythme presque nul. Oui, pendant plusieurs minutes, la circulation demeura bloquée, particulièrement entre la place de la mosquée (ancienne église-presbytère) et la salle des fêtes. Ici, c’est le cœur même de l’ancien Aumale, dans un quartier édifié à partir de 1854. La muraille-forteresse encerclant l’ancien périmètre urbain n’est pas loin d’ici. La mairie, le jardin municipal, la salle des fêtes, la place de la mosquée, continuent à servir de repères inévitables pour les aumaliens, malgré les différentes extensions de la ville allant du quartier Bouchlaghem (direction Aïn Bessem) jusqu’au nouveau rond-point d’El Mardja (sortie vers Bordj Okhriss), sans oublier les nouveaux quartiers de Aïn Amar, sur l’axe sud de la RN 8. Autant dire d’autres petites villes, des faubourgs, qui donnent à Sour El Ghozlane cette nouvelle dimension d’un grand chef-lieu de daïra (elle a le statut de sous-préfecture depuis le début du 20e siècle), avec une population proche d’environ 50 000 habitants. La foule massée devant les magasins, les cafés, les tables de qelb ellouz, donne l’impression d’avancer tout en restant sur place. Les gens tournoient à la manière de « Safa ou el marwa » autour de ce qui peine à se faire voir. Si les gens se bousculent et s’époumonent, ceux qui achètent réellement quelque chose sont peu nombreux. Une observation de taille, dans cette partie du boulevard central s’étendant sur environs un kilomètre, la junte féminine est quasiment absente. Seules deux s’y sont « aventurées »… Rachid, un habitant de la ville depuis plus de 40 ans connaît les plus petits recoins de la ville. Il nous apprend que les femmes se permettent des virées du côté du Génie, un quartier dans la basse ville construit dans les années 1970. Ce sont des maisons individuelles bâties en pierres par une entreprise de Génie militaire. « Là des couples sortent pour prendre une glace, s’approvisionner pour la fête de l’Aïd (matières et ingrédients de gâteaux, vêtements pour enfants) ». Les cafés du boulevard Mezani sont remplis, archicombles; je n’arrive pas à dénicher deux places pour moi et mon ami, histoire de prendre un thé. Oui, la ville de Sour El Ghozlane est connue pour son thé saharien. Doux ou piquant, selon votre goût. La fumée remplit la salle, déborde sur la rue et pénètre même dans le petit magasin de portables. Impossible de pouvoir s’échanger quelques mots avec Rachid, tant la salle est hantée par un énorme boucan. Parties de dominos, échanges de potins de la ville et autres déballages font partie des conversations qu’abritent ici les cafés.

Les potins et les cancans

Les potins tournent surtout autour de la dernière opération antiterroriste effectuée par les services de sécurité à moins d’une dizaine de kilomètres d’ici il y a une dizaine de jours. Chacun y va de son explication. Quatre terroristes sont abattus, dont deux émirs. Ils viendraient de Boumerdès pour se rendre à Tebessa. L’hadj Alloua, propriétaire du café tient à nous rappeler qu’au plus fort de l’activité subversive dans la wilaya de Bouira, la ville de Sour El Ghozlane a su se défendre. Particulièrement, intra muros, même si à la périphérie il ya eu quelques actes.

Les femmes ne s’aventurent pas partout en ville. Elles se permettent toutefois des virées du côté du Génie, un quartier dans la basse ville construit dans les années 1970. Ce sont des maisons individuelles bâties en pierres par une entreprise de Génie militaire. Là des couples, des familles sortent pour une balade, prendre une glace, ou s’approvisionner d’ores et déjà pour la fête de l’Aïd (matières et ingrédients de gâteaux, vêtements pour enfants).

Le sujet semble passionner les présents. On rappelle également le dernier acte terroriste au nord de la wilaya qui a coûté la vie à deux agents forestiers. L’écran géant de la télévision diffuse les infos de France 24. Les places publiques du Caire sont remplies de monde. Le peuple semble divisé en deux parties irréconciliables. ‘’Les Égyptiens risquent de passer par où nous sommes passés«; commente l’Hadj Allaoua. Retour à la place centrale. Hormis les bancs du jardin public occupés par des vieux, la masse humaine semble tournoyer dans le vide. Le comble, c’est que nous sommes devant une salle de fêtes. C’est une ancienne grande salle de cinéma qui a fini par prendre ce nom. Rachid revient sur l’histoire de cette salle qui aurait pu être mieux rentabilisée, particulièrement en ce mois de Ramadhan. ‘’Pendant la période coloniale, c’était la fête presque chaque jour. Des chanteurs, des troupes venaient de partout pour se produire ici. Même après les premières années de l’Indépendance, elle a servi la culture en diffusant des films et en recevant des troupes théâtrales. Depuis des années, elle sert surtout de tribune aux partis politiques qui y tiennent leurs meetings. C’est un véritable gâchis‘’. En effet, d’animation culturelle, il n’y en presque pas pour une ville de près de 50 000 habitants. Les habitants des communes voisines qui se rendent ici pendant la nuit, c’est surtout pour des approvisionnements, particulièrement ceux de l’Aïd. La chaleur annoncée par les médias dans un bulletin spécial trouve ici tout son terrain d’expression. Après les 40 degrés atteints entre midi et 17 heures, la nuit n’échappe pas à l’étouffement, avec des températures de 29 à 30 degrés. 23 heures. Les sorties des deux grandes mosquées du centre-ville grouillent de monde. Ce sont les prieurs qui viennent de terminer leurs tarawihs. Les rues adjacentes se font encore plus étroites pour recevoir tout ce monde qui erre sans but précis. Abandonnant cette atmosphère asphyxiant, nous nous rendons dans la direction du Génie, e marquant une halte à Bab El Gordh, une des cinq portes qui ponctuent la forteresse de la ville. En avançant quelques de quelques trois cents mètres, Rachid m’indique le talus surplombant la route, au pied de la muraille. Des petits groupes de jeunes sont assis, les uns sur des pierres, les autres sur l’herbe sèche. Groupes de 3 à 4 personnes, disséminés le long de la muraille. Pour un étranger à la ville, il est difficile de dire de quoi s’occupent ces jeunes plongés dans le noir presque parfait, d’autant plus qu’ils donnent l’impression de ne s’occuper de rien. Et bien non; Rachid m’apprend que c’est là le dernier maillon d’une longue chaîne du commerce de la drogue. Dernier maillon, parce que ce sont eux les consommateurs. La police a arrêté un groupe de dealers juste avant le mois de Ramadhan. Mais, le phénomène paraît plus complexe à gérer. D’autres jeunes se rendent dans une porte de la forteresse, à savoir Bab Bousaâda, pas loin de l’hôpital de la ville et de la…gendarmerie. Un moniteur d’auto-école m’avoua avoir renvoyé des jeunes passant toute la nuit au pied de la muraille et qui viennent, soi-disant, recevoir une leçon de conduite. Je les reconnais à leurs yeux retournés ou absents et à au faible débit de leur paroles. «Je préfère prendre mes précautions avec des gens pareils‘’. ajouta-t-il.

Par ci les emplettes, par là les délices bachiques

À l’approche de minuit, nous gagnons le pont de l’Oued Dirah, qui annonce le quartier le Génie. Les magasins de vêtements et de chaussures sont remplis de monde. ‘’On dirait que les prix des vêtements sont faits pour une autre population, pour des étrangers!«; lança tout de go une jeune femme qui traîne ses deux enfants avec elle. Des chemises à 2200 dinars, des pantalons à 2500 dinars, et des robes qui ne descendent pas au-dessous de 300 dinars. ‘’Après la saignée des fruits, légumes et viandes, ce sera le grand sacrifice pour les effets de l’Aïd‘’, ajouta-elle. Au kiosque du quartier, des jeunes déplorent le sort réservé à un centre culturel attenant même au kiosque et qui a pour nom Houari Boumediene. Après des années de tergiversations et d’errements de la part des autorités locales et de la direction de la Culture de la wilaya, le centre devient une… annexe de la mairie. C’est une grande infrastructure donnant sur un boulevard stratégique, mais que les autorités et le mouvement associatif n’ont pas su sauvegarder. Un gâchis clairement affiché. Son ancien directeur, Tahar Lazazi, avait essayé d’y créer une certaine activité et un brin d’animation. Moi-même, j’ai eu à organiser dans ce centre une grande exposition sur l’environnement et la forêt lors de la journée mondiale de l’arbre, le 21 mars 1995. Par la suite, les activités déclinèrent au point où l’on décida de se défaire de cet ‘’encombrant’’ lieu de culture. «La bureaucratie a eu le dessus«; m’expliquait, il y a quelques années, Tahar Lazazi. ‘’Les jeunes ne savent pas où aller. S’il y avait un transport de nuit aller-retour, je serais parti sur Bouira. Au moins là-bas, il y a la maison de culture qui présente des galas«; regrette ce jeune adossé au kiosque à tabac. Une heure du matin. Imperceptiblement, un vide se crée dans les rues; un silence presque inquiétant s’installa. Quelques cris perdus, éthérés, venant d’une rivière en bas de la poste, déchirent le silence de la nuit. Il s’agit de jeunes s’adonnant aux plaisirs de Bacchus. Poivrots, ils se lamentent sur leur sort. Deux d’entre eux remontent difficilement la berge de l’oued. Ils se balancent, claudiquent et se mettent à gerber en face du lycée Al Ghazali, tandis que les gens sont rentrés chez eux pour s’attabler pour le s’hour.

A.N.M.

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