Les figues tardent à mûrir

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De mèmoire de cotoyens, dans la localité de M’kira, les figues, communément appelées “lekhrif” en kabylie, n’ont jamais connu un tel retard dans leur mûrissement.

En effet, depuis la nuit des temps, à cette période de l’année, tous les figuiers, qu’ils soient dans la basse M’Kira à Tamdikt, Aït Ouakli, à D’Hous ou à Tahachat, ont, non seulement presque toute la totalité de leurs fruits entièrement mûrs, mais également la campagne de ramassage des figues sèches battaient déjà le plein. Dans le temps, à pareille période, les collecteurs venus des wilayas limitrophes sillonnaient la localité pour s’approvisionner auprès des villageois. « Les conditions climatiques sont en perpétuelles changement. Donc, c’est tout à fait normal que les saisons accusent des retards ou des avances », tente d’expliquer Aami Rabah, un octogénaire qui s’est installé à Tamdikt. Pour Aami Slimane, retraité ce phénomène ne peut être que divin. « Si dans la pleine, les figues sont, jusqu’a ce jour encore vertes et ne donnent aucun signe de mûrissement, cela veut dire que dans les montagnes, il faut attendre le début du mois de septembre pour voir « Lekhrif », déclare t-il, résigné. Cependant, après un moment de silence, Aami Slimane qui se reposait, à l’ombre au bord de la RN 68, sous la véranda ombragée du petit café du village interpelle pour rappeler certains de ses souvenirs. « Bien sûr, il n’y a que les personnes qui avaient vécu l’enfer de l’opération Jumelles qui peuvent en parler. Car cette cité qui n’était qu’un ensemble de tentes et de gourbis, dont plus de trois quart ont disparu juste après l’Indépendance, était érigé en camp de regroupement à la fin de juillet 1959 », confie t-il tout contrarié d’être replongé dans ces douloureux souvenirs. « Est-ce que vous savez comment la population avait survécu ou croyez-vous que les parachutistes, les sénégalais ou les marocains nous distribuaient des « couffins de ratissage » ou allions-nous nous approvisionner dans des magasins ? », interroge t-il menaçant, comme s’il était pris soudain d’une grande colère qui lui tenaillait les entrailles depuis des lustres. Puis comme pour refouler les larmes qui embuaient ses yeux, Aami Slimane porta son regard sur le ciel quelques instants avant de continuer et reparler des figues : « Eh bien, en ce samedi 25 juillet 1959, que ce soit à Tamdikt ou à Mahnouche, Talazizt ou Taka, là haut sur les montagnes, les aires de séchages étaient pleines, cela veut dire que « Lekhrif » touchait presque à sa fin. D’ailleurs, c’est grâce aux figues fraîches et aux figues de barbarie que nous avions non seulement échappé à la faim mais également aux maladies engendrées par la malnutrition. Car, Dieu était avec nous », termine Aami Slimane qui regrette les figueraies d’antan qui faisaient la fierté des familles. A Tighilt Oukerrouche, village situé à un kilomètre du chef-lieu sur la colline opposée, les citoyens rencontrés à la terrasse du café du stade communal sont également du même avis que ceux de la plaine. « C’est sûr que les changements climatiques influent sur les arbres fruitiers. Pour cette année, nous n’avons pas encore vu ne serait-ce qu’un fruit mûr », déclare ce sexagénaire qui, soudain se mit à rire. « Je crois également que beaucoup de choses ont changé dans notre société. Il n’y a pas seulement les conditions climatiques. Toute la société a changé », tente t-il d’expliquer en chargeant tout le monde d’offense envers Dieu et la nature. « Lorsque nous étions enfants, c’est à qui découvrira la première figue. Nous ne faisions pas de sieste. Nous parcourions toutes les figueraies à sa recherche. Les figues sèches tombées de l’arbre qui doivent faire l’objet d’un ramassage biquotidien, dans la matinée et dans la soirée, sont abandonnées sur place et on ne voit aucune aire de séchage dans les villages où les habitants préfèrent, à cette période de l’année, acheter et consommer de la pastèque, du melon, des bananes ou du raisin alors que les belles figues ainsi que les « Tikarmoussines » sont délaissées », enchaîne t-il.

Essaid Mouas

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