Site icon La Dépêche de Kabylie

Entre saines ambitions et dogmes stériles

Par Amar Naït Messaoud

Au moment où une pétition circule pour revendiquer l’officialisation de Tamazight dans la nouvelle Constitution algérienne- dont la mouture exploitable pour un référendum ou pour un débat parlementaire vient d’être finalisée par la commission spécialisée créée en avril 2013 par le Premier ministre-, des forces et des groupes s’agitent curieusement pour imposer leurs desiderata éculés, faisant partie d’un registre trop entendu, rabâché et ne retenant l’attention de personne, si ce n’est celle de ce personnel aigri et passéiste qui reçoit l’écho amplifié de ses propres turpitudes. En effet, ceux qui comptent agir pour orienter la nouvelle Constitution dans le sens des vents contraires de l’histoire, se prenant pour l’ «élite-guide» de la nation, reviennent avec la force du désespoir sur ce qu’ils appellent encore les constantes de la nation. Au cours d’une conférence de presse, animée samedi dernier à Alger, Abderrazak Guessoum, président de l’Association des Ulémas algériens, donne l’impression de se réveiller à l’actualité algérienne, et même à l’actualité régionale, après un très long silence embarrassé voire coupable, devant les dérives auxquelles a été exposé notre pays pendant plus de dix ans. Au nom de l’Association qu’il préside, il compte interférer dans la rédaction de la nouvelle Constitution algérienne pour faire passer ses choix, qu’il a déclinés dans les options à prendre résolument pour la langue arabe et l’Islam, comme si, depuis la première Constitution de 1963, l’Algérie était sortie de ce moule plein d’ambigüités et d’ostracisme. ‘’Nous voulons participer à la confection de la prochaine Constitution. Nous insistons surtout sur certaines constantes, dont l’Islam, notre religion, et l’arabe, notre langue, qu’il faut imposer dans la loi fondamentale du pays«; dira, A.Guessoum. Son ingéniosité ira plus loin en tenant à imposer l’arabe en tant que ‘’culture-mère’’. C’es là un concept qui ne doit sa création qu’à l’article 3-bis de l’actuelle Constitution dans lequel il est écrit que Tamazight est ‘’aussi langue nationale’’. Donc, pour contourner les conséquences pratiques (en termes de mobilisation de moyens matériels et pédagogiques et de rayonnement culturel) auxquelles devraient donner normalement naissance les termes de cet article, on a recours à ce dangereux subterfuge de ‘’culture-mère’’. L’auteur ajoutera d’ailleurs que les ‘’langues amazighes’’ (sic) devront se greffer à ce concept-bateau. Plus que jamais, les tenants d’un ostracisme anti-amazigh font tout pour diluer la revendication portant sur la reconnaissance entière de l’amazighité- avec toutes ses conséquences pratiques sur le plan de l’enseignement, de l’édition et de l’audiovisuel- dans une brume qui a pour nom «patrimoine», une conception qui place et fige notre culture dans les musées. Le président de l’Association des Ulémas ne dit pas autre chose en affirmant: ‘’certes, nous sommes pour la reconnaissance des origines, mais nous n’accepterons jamais d’utiliser l’amazighité pour diviser le pays‘’. En matière de langue de bois- connue, expérimentée, usée jusqu’à la corde au cours du long règne du parti unique- A.Guessoum manque terriblement d’imagination. Il n’a pas jugé utile d’innover son argumentaire. C’est là un langage, stéréotypé repris presque mot à mot, des journaux télévisés algériens d’avril 1980, lorsque le pouvoir politique de l’époque traita des tous les noms les militants de la culture amazighe (antinationaux, antirévolutionnaires, réactionnaires, manipulés par la main de l’étranger et voulant diviser le pays).  Pour faire dans l’air du temps, le conférencier propose, suggère, appelle, revendique, que Tamazight soit écrite en caractères arabes. Logiquement, pour faire de telles ‘’suggestions’’, il faut d’abord faire sienne la revendication culturelle elle-même et la nécessité de l’enseignement de la langue amazighe. Secundo, lorsqu’on se donne une telle assurance, lorsqu’on se fait passer pour un linguiste qui se sent à même de trancher la question du caractère d’écriture, l’on n’ ‘’appelle’’ pas, l’on ne ‘’propose‘’ pas. On passe à l’action. On écrit et on produit avec les caractères que l’on s’est choisis. Au moment où ceux qui, sans moyens, sans ‘’suggestion’’, sans l’aide de personne, produisent des textes, des poèmes, des articles, en tamazight, d’autres, pharisiens et jdanovistes invétérés, voudraient arrêter la roue de l’histoire en y mettant les battons dans les roues. 

Mettre fin aux amalgames 

L’arsenal argumentaire des Ulémas n’est pas dirigé pour définir le régime politique qui réponde le mieux aux aspirations des Algériens dans leur longue marche vers la démocratie. Apparemment, qu’il soit présidentiel, parlementaire ou semi-présidentiel, le régime qu’est appelée à entériner la nouvelle Constitution n’agréerait aux yeux de cette ‘’conscience’’ de la nation que dans la mesure où il protège et défend les ‘’constantes’’ nationales, telles que définies par A.Guessoum. C’est là une mentalité d’assiégé qui ne trouve guère ses repères dans les nouveaux changements qui affectent non seulement l’Algérie, mais également toute l’aire géoculturelle arabe. Justement, après une longue léthargie, l’Association avance sur le terrain de l’ «analyse» de ce qui se passe à l’étranger, en faisant passer prestement les dossiers de la Syrie, de l’Egypte et de la RASD. Mais, ce que ne dit pas A.Guessoum à propos des graves problèmes politiques et sécuritaires que vivent certains pays comme la Tunisie et l’Egypte, c’est que la plus grosse pierre d’achoppement, qui a conduit à des impasses et des dérives, est justement la rédaction de nouvelles constitutions dans lesquelles les islamistes tentent de laisser leur lourde empreinte idéologique, au détriment des valeurs de l‘émancipation de la société de la tolérance et de la démocratie.  S’agissant spécialement de l’article qui érige, dans la Constitution algérienne,  l’Islam comme religion d’État- brèche qui a été toujours exploitée par les islamistes pour chercher à instaurer une théocratie- un révolutionnaire de la première heure, membre du groupe des 22, en l’occurrence, Mohamed Mechati, avait lancé un appel en 2005, en direction de la société civile et des intellectuels, pour s’élever contre la confusion qui règne entre la religion et la politique. À cette occasion, il écrit: ‘’Le fait d’ériger l’islam en religion d’État est une aberration, une erreur monumentale qui, pratiquement, assure le droit à celui qui est au pouvoir d’user et d’abuser en bonne conscience. L’islam ne doit pas être la religion de l’État. Il ne peut pas être la religion de l’État‘’.  En Algérie, l’Islam souffre de sa manipulation par diverses forces politiques, y compris par le pouvoir, au point où la religion ancestrale des Algériens peine à trouver ou à retrouver sa place dans les foyers, dans les villages et dans les villes. La langue arabe est victime des méthodes zélées et politiciennes par lesquelles ses ‘’défenseurs’’ l’ont imposée à l’école, loin de l’esprit scientifique et de la cohabitation harmonieuse avec l’héritage francophone et la culture amazighe.                          

A. N. M.

Quitter la version mobile