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Emotion et fierté

La place où est érigée la stèle à la mémoire du commandant Ali Bennour et de l’infirmier Oukil Ramdane, sur la RN25, grouillait de monde, avant-hier, 21 octobre. Une grande foule était venue rendre hommage à ces deux héros et commémorer cette triste journée où ils furent froidement exécutés par les Français.

Aux côtés de Hocine Bennour, le fils du chahid Ali Bennour, et du neveu du chahid Oukil Ramdane, étaient également présents les responsables de l’organisation des moudjahidine, ceux des associations des enfants de chouhadas de Draâ-El-Mizan, de Tadmaït, Tizi-Ouzou, Tizi-Gheniff, Aït Yahia Moussa, Aïn-Zaouia, ainsi que ceux de plusieurs autres communes et les derniers survivants de la guerre de libération, tels Aami Rezki Krim, le frère de Krim Belkacem, Rabah Bendif, Mohamed Zahzouh, Belarbia Rezki dit Rabah Touil, Saïd Atoutah, Djerrai Rabah, Ali Yadadène, Zahzouh, Belkacemi Youcef, ainsi que Hadj Amar Mellah, le fils du chahid colonel Ali Mellah. Une gerbe de fleurs fût déposée au pied de la stèle et une minute de silence fut observée à la mémoire de tous les chouhadas de la glorieuse révolution armée. On écouta par la suite la lecture de la Fatiha du saint Coran par un imam, avant que M. Ali Iabadène, ancien maquisard et responsable de la Kasma des moudjahidine de Draâ-El-Mizan, a souhaité la bienvenue à tous les présents. Il rendit dans sa prise de parole un vibrant hommage à ces deux héros de la révolution, tout donnant des précisions sur les circonstances de leur exécution. « Les corps de Si Ali Moh N’Ali et si Ramdane Oukil ont été jetés là-bas tout près de ‘’Alghar Abourouyène’’ (terrier des porcs-épics), à cinquante mètres de cette stèle », dira-t-il. Il poursuivra en détaillant le parcours héroïque de celui qui fut membre du conseil de la wilaya 3 historique et commandant de la zone IV qui s’étire de la côte (Dellys-Tigzirt) jusqu’à Bir-Ghabalou, englobant les Issers, Bord-Ménaïel, Timezrit, Naciria, Tadmaït, M’Kira,Tizi-Gheniff, Draâ-El-Mizan, Aomar ainsi qu’une grande partie du Djurdjura. La parole fut ensuite donnée aux anciens moudjahidine qui avaient connu ou rencontré le commandant Ali Bennour, durant les années de guerre.

Témoignages d’anciens compagnons

Belkacemi Youcef, 78 ans, de Ouacifs.

«Si je dois dire une chose sur le chahid Si Ali Bennour, je parlerai de sa grande sagesse avant tout. Une grande qualité dont il jouissait et qui m’a sauvé la vie, du jour où j’avais atterri à Tala –Guilef, en 1958, au retour d’une mission confiée par le colonel Amirouche dans les Aurès, wilaya V où régnait un grand désordre. Donc, au premier matin de mon arrivée dans ce premier refuge du Djurdjura, je pus me débrouiller une petite tasse de café que je voulus siroter un peu à l’écart, en allumant une cigarette. Quelques instants après, Si Seddik Oumahiyou (Allah Irahmou), sentant l’odeur du tabac, s’approcha de moi en criant : «C’est un traître, ligotez-le ! C’est un traître, ligotez-le !». Tout en le regardant, sans rien comprendre, je continuais à tirer sur la cigarette. Un attroupement menaçant s’était formé autour de moi, alors que je n’avais rien à me reprocher. C’est alors que entendant tout ce remue-ménage, le commandant si Moh N’Ali, qui était lieutenant à ce moment-là s’adressa à Si Seddik Mahiyou en lui disant qu’il ne fallait pas se précipiter de la sorte et accuser un compagnon sans lui donner l’occasion de s’expliquer. Un traître ne fumerait pas devant tout le monde, leur a-t-il dit. C’est alors que ce grand homme, ce grand sage qui savait écouter, s’assit près de moi et commença à me questionner, en m’appelant son fils…

Je lui racontai ma mission dans les Aurès, mon retour, et le fait que l’intendance de la wilaya 5 historique m’avait remis, outre l’ordre de mission signé par le lieutenant Athmane qui deviendra colonel, mes rations alimentaires pour ce long trajet ainsi, que du tabac avec 10 paquets de cigarettes et 14 boites de ‘’chemma’’. Je lui racontai également que durant toute la traversée de la wilaya 4 historique, je fus escorté par un commando avec qui j’avais participé à toutes les actions contre l’armée coloniale. A la fin de mon récit, Si Ali Moh N’Ali me déclara que les règles n’étaient pas les mêmes que dans la wilaya 5 et que dans la wilaya 3,le tabac était strictement interdit tant pour les civils que pour les combattants. Il m’ordonna alors de lui remettre mes paquets de cigarettes qu’ils écrasa de ses pieds et les boites de ‘’chemma’’ qu’il déversa par terre. Après, je fus dirigé sur l’Akfadou en compagnie d’une section commandée par Si Idir de Adni sans que je sois ligoté comme il était de rigueur lorsque quelqu’un rentrait d’une autre wilaya».

Belarbia Arezki, dit Rabah Touil

Le témoignage du moudjahid Belarbia Arezki, dit Rabah Touil, fut le plus émouvant, notamment parce qu’il était l’un des derniers à avoir vu le commandant Ali Bennour et Oukil Ramdane avant leur exécution. Il fut même parmi les blessés arrêtés au moment de l’assaut donné par la soldatesque française contre le refuge-infirmerie où il se trouvait pour des soins. « C’est le 18 octobre 1959, à deux heures du matin que l’opération a débuté. Toute la zone où il était installé à savoir Bouguerfène, fut bouclée, sur le versant Nord de la colline qui monte de l’oued jusqu’à Tizra-Aissa. L’abri fut évidemment encerclé d’autant plus qu’il n’était pas protégé car les responsables voulaient avant tout garder ce lieu secret. Il n’y avait que le commandant Si Ali Bennour et notre infirmier Oukil Ramdane qui empêchaient les soldats de se rapprocher avec leurs armes en leur tenant tête ainsi durant plusieurs heures. Il avait fallu attendre jusqu’à dix-neuf heures pour voir s’effectuer l’assaut des soldats sur notre refuge où il y avait pas moins de quinze blessés graves. Ils étaient là depuis plusieurs mois et attendaient leur transfert vers d’autres lieux sanitaires plus convenables ou à l’étranger. Il était impossible de les déplacer. Me concernant, j’étais là depuis trois mois déjà pour de nombreuses blessures. D’ailleurs, Si Ali Moh N’Ali, en tant que commandant de la zone 4, était venu pour s’enquérir de notre état de santé et prendre les décisions qui s’imposaient pour notre transfert vers d’autres lieux. Malheureusement, sa venue a coïncidé avec la traitrise de cette femme nommée Yamina N’Amar Ouali, veuve d’un homme qui fut exécuté par les Moudjahidine. Elle n’avait pas hésité à donner à l’ennemi l’emplacement de cet abri-hôpital. Après plusieurs heures de combat et l’assaut donné par les goumiers et les soldats français, nous fûmes tirés de notre refuge pour être transportés à dos d’homes jusqu’à une maison qui n’était pas très loin, qu’on appelait « Akham Mahmoud». C’est là que nous découvrîmes Aami Ali, blessé avec un bandage taché de sang à la tête et une écharpe au bras. Il avait perdu connaissance au moment de sa capture. Il était ligoté au milieu des dizaines de soldats. Les soldats français pas peu fiers de leur butin ne cachèrent pas leur victoire et n’hésitèrent pas à nous offrir de la nourriture que nous refusâmes bien évidemment. Quelques instants plus tard, les goumiers se chargèrent de nous transporter sur leur dos jusqu’en haut de la colline à ‘’Annar N’Ali Ouramdane’’, puis de là sur des camions jusqu’à l’hôpital de Draâ El-Mizan où nous reçûmes des soins alors que Aâmi Ali et Si Ramdane furent isolés et transférés en Jeep. Deux ou trois jours après, nous nous retrouvâmes dans un camp militaire à Azumbi (Les Pins), toujours à Draâ El-Mizan. Aami Ali Bennour apparut devant nous, il y avait également Moh N’Essaid, un rallié qui n’avait cessé d’aboyer aux oreilles de Aami Ali depuis notre capture que c’était lui qui commandait maintenant. Il y avait également les deux jeunes filles (Baya et Malha) qui nous préparaient à manger, arrêtées un mois auparavant. Malgré les tortures et les sévices subis, les deux jeunes femmes n’avaient pas lâché le morceau.Deux jours après nous apprîmes que Aâmi Ali avait été lâchement exécuté avec notre infirmier Oukil Ramdane ».

Hadj Saadi Ahcène, d’Aïn-El-Hammam

«J’étais secrétaire de région. La première fois que j’ai rencontré Ali Moh N’Ali, c’était en 1959 à Sidi Ali Bounab. Je suis arrivé de nuit à un refuge, et quelle ne fut ma surprise lorsque j’appris que celui qui était de garde à ce moment n’était autre que le capitaine Ali Bennour. Je découvris très vite que cet homme hors du commun était non seulement courageux mais également très modeste. Il se considérait toujours comme un simple djoundi et respectait toutes les règles. Il se les appliquait à lui même avant de les appliquer aux autres. Il était d’une telle gentillesse qu’il créait pour ses djounouds une atmosphère de détente qui leur faisait oublier la guerre».

Essaïd Mouas

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