L’algérien et la culture de l’assurance

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Selon les chiffes avancés par le conseil national des assurances (CNA), le marché des assurances en Algérie pèse plus de 100 milliards de dinars, dont 30 milliards rien que pour le premier trimestre de l’année en cours.

Sur le terrain pas moins de 21 compagnies d’assurance entre le public et le privé sont recensées. Ce chiffre est en hausse de plus de 23%, par rapport à l’exercice précédent à la même période. Toujours d’après le CNA, les assurances dommages représentent, à elles seules, 96% des parts de ce marché gargantuesque. Les 4% restant, autant dire des miettes, sont à mettre à l’actif des assurances des personnes. Ces chiffres sont éloquents à plus d’un titre, car ils reflètent un marché plus que porteur. Ils démontrent également une grande disparité entre les deux principaux types d’assurances, à savoir des dommages et celles de personnes. Mais si on devait ‘’ creuser’’ un peu plus la question, on se rend très vite compte que dans la première catégorie d’assurance réside également un grand déséquilibre. En effet, et toujours d’après les chiffres donnés par le conseil national des assurances, les deux tiers du marché des assurances dommages, soit 61%, sont détenus par l’assurance automobiles. Le reste est réparti entre des assurances dites d’Incendie, accidents et risques divers (IARD).  

Assurances habitation et CAT-NAT : la législation mise à l’index

Partant de ces données, on peut aisément s’interroger sur les motifs qui poussent les citoyens à assurer leur véhicule et délaisser pratiquement tout le reste, notamment les assurances habitations et celle contre les catastrophes naturelles (CAT-NAT). Les Algériens aiment-ils leurs voitures au point de les assurer contre la moindre égratignure ?  Et sont-ils si insouciants quant à leurs demeures, au point de ne pas les assurer contre les ‘’ humeurs’’ de la nature ?  D’après certains spécialistes du domaine, nos concitoyens n’ont pas encore totalement intégré « la culture de l’assurance » dans leur mode de vie. Mais alors, comment expliquer leur engouement pour les assurances automobiles qui représentent, faut-il le rappeler, plus de 61% du marché global, soit 61, 8 milliards de DA pour l’exercice 2012 et plus de 18 milliards de dinars pour le 1er semestre de l’année en cours. Toujours d’après les experts, ce taux élevé est beaucoup plus lié à la ‘’peur du gendarme’’  qu’à autre chose. En effet, et selon M. Allouache, économiste et consultant dans un important groupe d’assurance, « les Algériens assurent leurs voitures, car, tout simplement, sans le certificat d’assurance ils peuvent se retrouver privés de leur véhicule à n’importe quel barrage de police. Sans oublier la grosse amende à payer ». Et d’ajouter avec un air amusé : « Vous avez vu déjà quelqu’un se faire expulser de chez-lui sous prétexte qu’il n’a pas assuré son domicile ? Bien évidemment non ! ». Cet expert ira plus loin en demandant au législateur de « mettre des mesures coercitives pour les autres branches des assurances dommages, notamment les fameuses CAT-NAT ». Cet avis est également partagé par M. Amara Latrous, président de l’Union des assureurs et réassureurs (UAR). M. Latrous a déploré récemment « l’absence presque totale d’adhésion des citoyens au dispositif obligatoire d’assurance contre les risques de calamités naturelles ». Et de souligner que la loi de 2003, relative à l’obligation pour tout propriétaire d’un bien immobilier en Algérie de souscrire ce type d’assurance, « n’a pas prévu des mesures coercitives». Afin d’étayer ses propos concernant « l’absence d’adhésion» des citoyens pour les assurances CAT-NAT, le président de l’UAR révélera qu’il n’y a que 520 000 contrats de couverture d’assurance qui ont été signés par les assurables en 2012 dans le but de se prémunir contre les risques de catastrophes naturelles. Ce chiffre qualifié de « dérisoire » par M. Latrous traduit, selon lui, « le manque de culture des assurances » chez l’Algérien, mais aussi les carences de la législation en la matière. D’ailleurs, cette législation est décriée par certains assureurs qui la jugent ‘’ laxiste et incohérente’’. Interrogé sur lesdites ‘’ incohérences, M. Allaouche dira : « La loi de 2003 oblige les notaires à exiger une assurance Cat-Nat pour toute transaction immobilière, qu’il s’agisse d’une opération de vente ou d’un bail de location. Toutefois, la même législation mentionne qu’en cas de survenance d’une catastrophe naturelle, les biens non assurés contre ce type de risque auprès des compagnies d’assurances seront systématiquement exclus de toute indemnisation. C’est une aberration ! ». Et d’ajouter : « L’assurance des biens et des personnes est un code à respecter. On ne peut pas faire des demi-mesures ou des entorses comme c’est le cas ». Encore un chiffre qui reflète le ‘’ désamour’’ des citoyens pour l’assurance contre les catastrophes naturelles et autres risques qui peuvent toucher leurs biens immobiliers, leur chiffre d’affaire a reculé de 11% par rapport à 2012 selon les estimations du CNA. Il représente désormais moins d’un milliard et demi de dinars, sur les 100 milliards que génère annuellement l’industrie des assurances. A travers toutes ces déclarations, il se dégage un constat indéniable : La loi de 2003 oblige les assurables à souscrire à une assurance habitation et CAT-NAT, mais ne prévoit nullement des mesures punitives pour les réfractaires. Mais au fait, combien coûte-t-il de s’assurer contre les déchaînements de la nature et autres risques se rapportant à l’habitation ? Et bien d’après certains assureurs contactés, le prix est tout à fait ‘’abordable’’ et varie entre 1500 et 3000 DA, en fonction de la superficie du bien assuré et du degré d’exposition de la zone où il est implanté aux risques de catastrophes naturelles. À titre d’exemple, un apparemment de type F3, d’une superficie de 70 M2, en plein centre-ville de Bouira, peut être assuré à hauteur de 1 800 DA. Abordable, dans la mesure où l’assurance d’un véhicule touristique, contre les risques de collisions et dommages, oscille entre 8 000 et 10 000 pour une année. Dans le but de remédier à la faible adhésion des assurables à l’assurance Cat-Nat, l’Union des assureurs a, selon M. Amara Latrous, soumis à la tutelle des finances des propositions de mesures à prendre dont, entre autres, la possibilité d’intégrer ces contrats obligatoires dans les factures d’eau ou d’électricité.

Assurance vie : 50 milliards de DA  » otages » des mentalités  

La réorganisation du secteur de l’assurance en Algérie, entamée depuis plus de dix ans, n’a pas aidé à l’amélioration de la branche assurance de personnes. En effet, séparée de la branche assurance dommages, l’assurance de personnes peine à prendre son envol et s’ancrer dans les mœurs. Pour le premier semestre de cette année, cette activité représente, comme il a été mentionné au début, seulement 4% du chiffre d’affaire global du secteur, avec un rendement qui ne dépasse pas les 5 milliards de dinars, pour un potentiel estimé par les experts à 50 milliards de dinars. Preuve que cette branche est en ‘’ panne’’, seules sept (07), des 21 compagnies activant sur le marché des assurances, ont franchi le pas, pour investir dans ce créneau ‘’ juteux’’, mais qui reste mal aimé des Algériens et dans certains cas, littéralement tabou. Il s’agit de Caarama, SAPS, TALA, Le mutualiste et Macir-vie, respectivement filiales de la CAAR, de la SAA et de MACIF, de la CAAT, de la CNMA et de la CIAR. Cardif El Djazaïr, filiales de BNP Paribas et AXA. Hormis l’assurance voyage, rendue obligatoire pour l’obtention des visas, l’assurance crédit pour l’obtention d’un crédit bancaire, ou encore l’assurance santé proposée en tant que produit d’accompagnement pour les entreprises, les autres telles que “Vie/-décès/retraite’’, sont boudées par les citoyens. La question qui se pose d’elle-même est : pourquoi les Algériens rechignent-ils à souscrire à ce type d’assurances ? Pour comprendre ce phénomène, il faut partir du postulat suivant : en Droit musulman, l’assurance commerciale est assimilée à du hasard. D’après certains exégètes de l’Islam, dont Ibn Taimiya, elle est considérée comme une sorte de ‘’ divination’’ de ce qui pourrait arriver à l’être humain. De ce fait, elle est prohibée par de nombreux hadiths du Prophète Mohamed (QSSL). L’Algérie étant un pays majoritairement musulman, les assurables assimilent les assurances de personnes à un fait ‘’ haram’’  qui contredit leur foi. Il faut ajouter à cela le poids des traditions et le manque de culture des assurances en général. Ainsi, on se retrouve face à un blocage idéologico culturel. Certains assureurs rencontrés, notamment ceux de la SAA via sa filiale d’assurance aux personnes SAPS, préfèrent dire que « le marché n’est pas complètement mature »’. Mais alors, les assureurs comptent-ils abandonner ce créneau pour autant ? A en croire certains responsables de compagnies d’assurance, la réponse est catégoriquement non !  « Nous comptons plancher sur de nouvelles formules adaptées aux mœurs et aux mentalités locales », a-t-on indiqué. Parmi ces formules « adaptées », il y a le contrat d’assurance-vie « islamique ». Ce concept importé des pays moyen-orientaux pourrait être la solution, afin de mettre un terme à la phobie des assurances de prévoyances. Ainsi et contrairement à un contrat d’assurance-vie traditionnel, le contrat d’assurance-vie ‘’islamique’’ est uniquement composé d’unités de compte (à capital non garanti), en raison de l’absence d’obligations islamiques. L’argent récolté est ensuite investi dans des fonds répondant aux règles de la finance islamique, qui s’appuient sur la charia (absence d’usure et actif dans des secteurs non prohibés par l’Islam). « Le principe de l’assurance-vie n’est aucunement illicite, ce sont les éléments qui le composent qui doivent respecter certains principes », a souligné M. Allaouche. Parmi ceux-ci figure, par exemple, le fait de n’avoir recours qu’à des actions d’entreprises faiblement endettées, au plus à hauteur d’un tiers de la valeur économique de leurs fonds propres.

Ramdane B. et Oussama K.

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