L'avenir, pourtant, est une "suite de quotidiens"

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Par Amar Naït Messaoud

Dans l’atmosphère fébrile de préparation d’échéances électorales majeures et déterminantes pour le pays, la gestion locale, avec ses contraintes et ses dérives, semble relever d’une « quantité négligeable » pour une grande partie des titres de presse, qui ne tiennent à ouvrir que par des déclarations fracassantes de chefs de partis, lesquels, en réalité commentent plus qu’ils ne créent l’actualité nationale. À ces déclarations, se greffent également toutes sortes de ratiocinations et de spéculations, sans doute, faute de matière à présenter à l’opinion. En dehors de ce climat, qui est loin de signifier la bonne santé de notre classe politique et des nos faiseurs d’opinion, les villes et villages d’Algérie vivent pourtant leurs problèmes, leurs joies et leurs attentes. À regarder de plus près, il y a deux sortes d’actualités, évoluant dans une sorte de dichotomie: l’une qui a lieu chaque jour, dans la rue, dans les bureaux de l’administration, dans les fermes et à l’usine; l’autre, celle présentée chaque jour par les médias, et qui, dans le meilleur des cas, ne reflète que partiellement la fébrilité et la cadence de la première. À trop concentrer tous les regards sur le sommet de la pyramide, où il y a un président, et qui sera reconduit ou changé en avril prochain, l’on oublie qu’il y a des présidents, élus à la tête des APC il y a presque une année de cela. On risque également de mal appréhender tous les aspects de la gouvernance, en faisant abstraction de toutes les institutions intermédiaires (daïras, wilayas, APW, et d’autres structures assurant les services publics), et en diluant les responsabilités dans une espèce de confusion, renvoyant tout au sommet de la pyramide, à savoir la présidence de la République. Ce serait, assurément, jouer le jeu de ceux qui tiennent à une forme de personnalisation du pouvoir. Ce serait donner raison à ceux qui, foncièrement, sont contre toute forme de décentralisation et de gouvernance ascendante. L’ancien Premier ministre français, Jean Pierre Raffarin, a eu cette boutade pour qualifier le concept de l’avenir. Il dira de ce dernier qu’il est « une suite de quotidiens ». C’est-à-dire, que rien n’est joué d’avance, rien n’est prédéterminé. L’avenir, on le fait maintenant, avec tous les  »maintenant » qui vont suivre. Il en est de même du grand pays qui s’appelle l’Algérie: c’est une suite de communes, de daïras et de wilayas. C’est là une donnée naturelle de la gestion d’un territoire. L’étroitesse et le manque d’ambition des codes de la commune et de la wilaya, y compris après leur amendement l’année passée, est une réalité qu’il convient de déplorer et de dénoncer. Cependant, il ne faudrait pas que les textes réglementaires, aussi médiocres soient-ils, justifient la fuite en avant, les tirs au flanc, voire les prévarications au niveau de la gestion locale. Globalement, il se trouve que les élus, dans les prérogatives qui leurs sont déjà reconnues, ont rarement brillé par leur présence et leur esprit de responsabilité. L’actualité locale de chaque jour est là pour l’attester. Après que les citoyens eurent aspiré à un changement de fond en novembre 2012, lors de l’élection des nouvelles assemblées communales et de wilaya, l’on se retrouve quasiment au point de départ. Les conflits interpartis, le tribalisme et l’affairisme élisent, une nouvelle fois, domicile dans l’enceinte des assemblées élus. Des mairies sont régulièrement fermées par des citoyens en colère. Le phénomène se banalise dangereusement. Il ne fait plus la  »une » des journaux, d’autant plus que ces derniers sont majoritairement occupés par la  »grande » politique, celle par laquelle sera remaniée la Constitution et élu le Président. On est vraiment loin de la gestion moderne, innovante, imaginative, des affaires locales. Le concept de participation, tel qu’il est censé être pris en charge pour faire adhérer les populations à la gestion des communes, demeure un fouillis de vœux pieux. L’esprit d’initiative est le grand absent. L’on a remarqué que dans certaines wilayas, les commissions spécialisées de l’Assemblée populaire de wilaya, selon les secteurs d’activité qu’elles suivent, ne sont instruites des dossiers qui sont prévus à être examinés en plénière que quelques jours auparavant. Tout au long de l’année, elles ne se sont pas souciées du secteur qu’elles sont censées représenter au sein de l’assemblée. Les bilans chiffrés, les aspects techniques et l’analyse objective leur échappant complètement, elles compensent ce déficit par des péroraisons et des procès d’intention qui alimentent une polémique stérile. Au niveau des assemblées communales, combien de maires et d’élus sont véritablement conscients de leur rôle dans la politique de développement rural actuellement menée par le gouvernement ? Pourtant, la cellule d’animation rurale de la commune (CARC) est officiellement présidée par le président de l’APC. De même, la cellule de daïra est présidée par le chef de daïra. Sur le terrain, rien de moins vrai, bien que les textes réservent une place de choix aux collectivités locales et donne à l’élu la possibilité d’initier lui-même des projets de ce type. Ce sont des projets, particulièrement dans les zones de montagne, qui peuvent changer le destin d’une bourgade ou d’un village. Il suffit d’exploiter tous les atouts qu’ils comportent. Chez nous, les citoyens se fourvoient dans les méandres de l’administration et des bureaux des élus pour un résultat qui n’est pas du tout garanti. « Vers le néant se multiplient les courses! », selon la célèbre envolée de Matoub Lounès. L’on se flatte souvent du titre de « premier magistrat » de la commune. Mais les citoyens électeurs attendent que ce premier magistrat fasse valoir ses attributs, ses compétences et son sens des responsabilités d’une façon concrète et dans tous les domaines de la vie locale. Avec la désinvolture qui caractérise, dans une grande partie des communes, la prise en charge de la gestion locale, l’on n’est plus surpris de lire ou d’entendre qu’un tel maire est poursuivi en justice ou carrément emprisonné. Ce sont des dizaines de cas à travers le territoire national. Les mis en cause ont fini par oblitérer leurs devoirs envers leurs administrés et donner un coup de canif au contrat moral et électif qui les lie à leurs concitoyens.

A. N. M.

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