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Les légitimes inquiétudes de M. Sellal

Par Amar Naït Messaoud

L’Algérie a assurément mal à université. Cette institution qui abrite plus d’un million d’étudiants, avec un personnel pédagogique et administratif qui se compte en dizaines de milliers de fonctionnaires, et des infrastructures qui ont coûté des milliards de dollars à la collectivité n’arrive pas encore à imposer sa présence sur le terrain économique, ni même sur le plan intellectuel de façon à orienter les grandes réflexions du pays relatives à la société à l’économie, à la jeunesse et à la culture. En somme, en dehors des diplômes universitaires, on est loin de ce qu’on peut appeler l’élite, susceptible d’agir dans la société de former l’opinion et d’influer sur les grandes décisions techniques et politiques.  Sur le plan pédagogique, et si on s’arrête au dernier classement opéré au niveau du monde arabe, l’Algérie est considérée comme le premier pays ayant investi dans les infrastructures et équipements universitaires, mais qu’il est à la queue du peloton en matière de création pédagogique et de publication universitaire. Dans le classement effectué en septembre dernier par une instance universitaire espagnole, le Conseil supérieur d’investigation scientifique, apparaissent les 10 meilleures universités du monde arabe où ne figure pas l’Algérie. Sur cet éventail de dix universités, les deux premières places reviennent à l’Arabie Saoudite et les deux dernières places (9e et 10e) à la Palestine. Dans le classement de Shanghai des 500 meilleures universités du monde, l’Algérie ne figure pas non plus, tandis que figurent l’Arabie Saoudite, l’Iran et l’Egypte.  L’administration algérienne tente de relativiser les choses et d’expliquer l’absence du pays de tous ces classements par des arguments peu convaincants. C’est ainsi que le directeur général de la recherche scientifique au ministère de l’Enseignement supérieur remet en cause le classement de Shanghai en affirmant que « les critères adoptés dans le classement des universités à l’échelle mondiale se focalisent sur la recherche, et se basent sur l’utilisation et l’accès à Internet, et non sur les efforts déployés par l’État concernant la réalisation d’infrastructures ou l’amélioration de l’encadrement pédagogique ». Il ne croyait pas si bien dire. Le classement ne peut être fondé que sur les résultats. À quoi servirait-il de mobiliser des budgets d’équipement et de fonctionnement  colossaux si c’est pour aboutir à des structures budgétivores inertes, déconnectées des réalités de l’économie nationale?  Le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, vient d’appeler, lors de sa visite à Oum El Bouaghi, les responsables universitaires à « orienter et accompagner les universitaires durant leurs cursus. Et une fois le diplôme obtenu, nous les accompagnerons, à notre tour, à travers les différentes formules (de financement) notamment l’ANSEJ (Agence nationale de soutien à l’emploi des jeunes), pour leur permettre de créer leurs propres start-up ». Le Premier ministre estime également qu’  » il faut que ces universitaires, une fois le diplôme obtenu, ne se sentent pas perdus ».  Il y a lieu de leur « inculquer un savoir et un savoir-faire performants (…) Il faut changer les mentalités des universitaires en leur ôtant l’idée de fonctionnariat ancrée dans leurs cerveaux ».  Abdelmalek Sellal a aussi appelé à « élever le niveau de formation des étudiants pour qu’ils soient en phase avec le besoin du marché du travail en créant des passerelles entre l’université et l’entreprise ». Tous les enjeux sont assurément à ce niveau-là. Aujourd’hui que l’économie algérienne est « sommée » de se diversifier pour assurer la sécurité économique du pays dans tous les domaines (emplois, alimentation, production industrielle, santé tourisme,…), l’Université algérienne peine à se greffer à cet effort général, d’où des tergiversations, des avancées-reculs, des incompréhensions entachant le processus de redressement économique. L’Université offre aujourd’hui l’image d’un corps valétudinaire, travaillé au corps par des luttes marginales, au détriment de la science et de l’acquisition du savoir. Il faut se rappeler que les effectifs qui sont sur les bancs des classes et des amphithéâtres, toutes institutions de formation confondues (éducation, formation professionnelle, université) dépassent 10 millions d’élèves, étudiants et stagiaires. C’est un potentiel humain de grande envergure pour peu qu’il soit bien encadré et bien formé.  Mais, que vaut le titre de magister ou de master en sociologie d’une candidate qui s’est fait dicter les réponses aux épreuves d’examen par écouteur kitman? L’événement a été rapporté par la presse l’année passée à partir de Biskra. Comment, dans un pays qui se donne de hautes ambitions sociales et économiques, 600 000 universitaires pré-emploi continuent-ils à ronger leur frein dans les administrations de l’État et les entreprises publiques avec une rémunération inférieure au SMIG? Une forme de mépris que les concernés commencent à rejeter à travers marches et sit-in. Sachant aussi que, chaque année, l’Université algérienne produit entre 200 000 et 250 000 diplômés considérés comme des primo-demandeurs d’emplois, quelle stratégie efficiente pour que le champ économique absorbe une telle « armée de réserve », d’autant plus que le niveau de formation est loin  de correspondre aux exigences du marché de l’emploi? C’est pourquoi « l’idée de fonctionnariat ancrée dans leurs cerveaux », pour reprendre la phrase de Abdelmalek Sellal, mettra beaucoup de temps pour disparaître au profit de l’initiative créatrice.

A. N. M.

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