Population et administration se regardent en chiens de faïence

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 Par Amar Naït Messaoud

Les nouvelles orientations du ministère de l’Intérieur et des Collectivités, relatives à la gestion des communes et aux prestations en matière de services publics, sont censées bousculer une situation de léthargie et de déliquescence qui n’a que trop duré. Cette situation est, en grande partie, responsable de la «rébellion» sociale qui ne s’est pas démentie, au moins depuis 2011. Les fins manœuvriers de la politique politicienne, recourant à la ringarde agit-prop, n’ont pas hésité à vouloir établir une espèce de connivence entre cette colère légitime des Algériens, générée par la médiocrité de leur administration, et le climat général de subversion charrié par le peu recommandable Printemps arabe. Les pouvoirs publics sont, depuis trois ans, sur les charbons ardents, cherchant à assurer la paix sociale par tous les moyens, y compris par une redistribution anarchique de la rente, à travers la multiplication de soutiens, de pensions, de revalorisations de salaires, d’avancement dans les postes de responsabilité…etc. Le Premier ministre, en visites permanentes dans les wilayas, s’en défend en déclarant vouloir suivre seulement les chantiers du développement. Un développement qui, tout en s’installant dans la réalité avec de multiples infrastructures publiques et des programmes de logements, n’a pas manqué d’être suivi de colère de ménages et de populations qui se disent marginalisées ou exclues. Et pourtant, des sommes colossales, dont les montants ne s’expriment qu’en milliards de dollars, sont consacrées pour améliorer le quotidien des Algériens. Néanmoins, le déficit de cohérence de certains programmes et surtout les comportements d’une administration, qui se sent toujours menacée et assiégée par les revendications citoyennes, ont fini par atténuer les joies, faire refluer les espoirs et alimenter l’animosité et l’aigreur des citoyens. Le gouvernement l’a assurément bien saisi, lui qui s’est vu enrichi depuis septembre 2013 d’un nouveau poste, celui de la Réforme du service public.  L’on a remarqué que, au cours de ces dernières semaines, le détenteur de poste ministériel, Mohamed El Ghazi, et son collègue de l’Intérieur et des Collectivité locales, Tayeb Belaïz, sont sur le front de la lutte contre la médiocrité et la léthargie des services publics, particulièrement ceux liés aux prestations de l’administration locale; car, en réalité les services publics dépassent les simples prestations de la mairies et de la daïra; ils comprennent tous les services que les organes et agences publics ou parapublics assurent: électricité eau potable, gaz, assainissement, service des impôts, domaines,…etc. N’est pas bien révélateur cet amer et crû constat fait par le Premier ministre lui-même, Abdelmalek Sellal, lorsqu’il a parlé la semaine passée de la «dictature de la bureaucratie», un concept ravalé à un rang humoristique par une certaine presse à sensation. Et pourtant, cet ogre ou Léviathan des temps modernes a été dénoncé il y a plus d’un quart de siècle par l’ancien président de la République, feu Chadli Bendjedi. C’est dire que les choses n’ont pas changé depuis, sinon dans le sens de l’aggravation. Oui, et cela a une explication. L’Algérie n’a jamais eu à gérer une rente comme celle dont elle dispose actuellement. Dépenser 500 milliards de dollars dans les infrastructures et équipements publics en l’espace de quatorze ans serait une excellente chose si le pays disposait de compétences managériales bien affirmées et de l’autorité morale d’un État bien assis. Le degré de perception de la corruption est d’une régulière proportionnalité par rapport aux richesses engrangées par le pays et destinées à la dépense publique. C’est l’ancien Premier ministre, Ahmed Ouyahia, qui le reconnaît, et qui dit publiquement à la télévision, en mars 2011, que le pays est pris en otage par la mafia de l’informel. Actuellement, dans certains secteurs de l’administration, hantés par le risque d’accusation de corruption à tout va, l’on vit une espèce de profonde hibernation, agissant selon le principe que celui qui ne travaille pas ne risque pas de se tromper. Et on ne risque pas de le tremper dans des affaires interlopes. Mais, avec une telle paralysie, ce sont alors les citoyens, demandeurs de services publics auxquels ils ont droits, qui en pâtissent. Le président de l’Organe national de prévention et de lutte contre la corruption, Brahim Bouzeboudjen, affirmait en janvier 2011, lors de l’installation des membres composant son staff de direction,  que «la lutte contre la corruption ne doit pas constituer une source de «paralysie»  du développement du pays ;  elle doit, de ce fait, également intégrer la nécessité de protéger les agents de l’État contre toute forme de délations et de manipulations«. Entre des parties qui bloquent les services publics par tentation affairiste, et d’autres parties qui préfèrent l’excès de prudence jusqu’à la paralysie, les réformateurs des services publics ont bien du pain sur la planche.  

A. N. M.

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