À l'instar des autres régions du pays, la wilaya de Bouira est rudement touchée par la crise du logement.
Cette dernière était et est toujours le catalyseur des différents mouvements de grogne sociale. D’ailleurs, au mois de septembre dernier, Bouira a vécu au rythme de la contestation sociale, menée par les locataires des divers haouches de la ville. Ces citoyens, qui se considèrent comme marginalisés et oubliés, ont marché fermé des routes et barricadé les sièges de l’APC, de la daïra et même de la wilaya, dans le seul but de réclamer leur recasement. Après quoi, les autorités de la wilaya, à leur tête le wali Maaskri, avait promis de les reloger dans les plus brefs délais et leur a demandé de faire preuve de patience. Mais cette dernière a des limites! Désormais, ces locataires qui vivent dans des conditions inhumaines, expriment ouvertement leur raz le bol et appellent le wali à tenir ses engagements.
«Papa, j’ai honte de…»
Certains locataires que nous avons rencontrés, cette semaine, n’ont pas hésité à nous raconter leur calvaire, tout en nous invitant à l’intérieur de leur «très» modeste demeure. M. Rachid Ouchen, l’un des habitants de ces taudis, nous invita chez lui, au détour d’une ruelle sombre, complètement délabrée et infestée de rats et autres bestioles en tout genre. A l’intérieur, c’est pire ! Une image des plus insupportable nous assailli d’emblée: salon, cuisine, salle de bain et chambre à coucher, le tout dans une seule pièce. «Nous sommes cinq à nous entasser dans cette pièce !», nous dira M. Ouchen, d’un ton attristé et gêné à la fois. Au fil des minutes, il ne pouvait plus retenir sa colère et son indignation face à cette situation. «Nous sommes considérés comme des parias par les autorités ! On vit comme des animaux en cage », s’est-il écrié. « Cela fait prés de 60 ans que notre situation va de mal en pis, sans qu’aucun responsable ne lève le petit doigt pour nous ! Je suis las de cette misère, las de cette vie, marre de voir mes enfants grandir parmi les rats et les moustiques ! Pourquoi tant de mépris, pourquoi tant de négligence et de souffrance. Pourquoi?», s’est-il interrogé d’une voix fébrile, tout en essayant de rester digne en notre présence. Avant de lancer cette phrase assassine : «On n’attend plus rien de la vie dans de telles conditions, on attend juste que la mort nous délivre de cet enfer». Et de conclure en disant : «Ma mère est âgée de 76 ans et elle dort à même le sol, dans la même pièce que nous tous ! Son seul souhait est de nous voir intégrer un logement décent avant qu’elle n’aille rejoindre son créateur». D’autres, à l’image de Madjid, locataire d’un des haouches de la rue Abane Ramdane, n’a pas caché son désarroi face à cette situation qu’il juge honteuse. Ce locataire, visiblement anéanti par tant de misère et de souffrances, n’avait nullement envie de contenir sa rage et sa colère en nous interpellant d’une manière virulente. «On vit comme des chiens ! Pire encore, ces derniers sont libres d’aller où ils veulent. On nous a menti, opprimés et manipulés ! Les autorités nous ont trahis», s’est-il insurgé avant d’enchaîner sur un ton tenace : «Personnellement, la seule raison qui me maintient en vie, ce sont mes enfants ! Sans eux, j’aurais mis fin à mes jours. Vivre dans la précarité la misère et la vétusté ce n’est pas une vie. Même la plus basse des créatures ne voudrait pas de cette vie là», s’est-il exclamé. Avant de nous raconter une anecdote poignante et lourde de sens pour le père qu’il est : « Vous savez, ma fille qui voulait fêter son douzième anniversaire, avec ses amies et camarades de classe, m’avait demandé d’organiser une petite réception. Alors, je lui dis de les ramener chez nous et fêter son anniversaire comme il se doit. Eh bien, figurez-vous ce qu’elle m’avait répondu avec l’innocence de son âge : Papa, j’ai honte de ramener mes amies ici. Je ne veux pas qu’elles voient où j’habite! Cette phrase m’avait meurtri », nous a-t-il confié le regard hagard et le verbe lourd.
des projets pour leur relogement, mais…
Ces locataires ne sont qu’un petit échantillon des dizaines d’autres qui attendent, désespérément, leur relogement. Pour ce faire et résorber un tant soit peu la crise du logement qui frappe de plein fouet les citoyens, l’Etat a, il faut bien le reconnaître, mis le paquet. Ainsi et selon le rapport de la direction de l’Habitat de Bouira, ce ne sont pas moins de 77 707 logements qui ont été programmés depuis 2005. En effet et pour le plan quinquennal 2005-2009, il a été programmé pas moins de 35 718 unités de logements, répartis entre les différentes formules LSP, LPL, habitat rural… Pour ce qui est du plan quinquennal 2010-2014, le rapport indique 41 989 logements programmés. Ces chiffres, aussi impressionnants soient-ils, restent insuffisants par rapport à la forte demande que connaît le secteur de l’habitat. En plus, les retards qu’accumulent ces projets n’arrangent rien à la situation. Et d’après toujours le même rapport, sur les 77 709 logements lancés depuis 2005, seuls 35 228 unités ont été achevées et livrées, autrement dit, la moitié reste en cours de construction. C’est peu, pour ne pas dire faible, quand on sait l’aspect vital de ces logements. Afin d’inverser cette courbe et redynamiser le secteur, l’actuel wali ne cesse de faire appel aux entreprises, tout en les incitant à «redoubler d’efforts», dans le but d’achever ces projets. Cependant, ces retards ne sont pas uniquement imputables aux entreprises, mais à d’autres facteurs, un en particulier, qui est la main d’œuvre. Cette dernière est une denrée rare de nos jours. Les chantiers sont déserts et certains entrepreneurs arrivent même à supplier pour «dénicher» un carreleur, un plâtrier ou un simple maçon. Cette pénurie a fait réagir Maaskri à plusieurs reprises, en déclarant : «Avoir des projets de logements c’est bien, mais il faut trouver qui va les construire». Pour en revenir aux locataires des haouches de la ville de Bouira et bien d’autres à travers l’ensemble de la wilaya, les autorités se veulent assez rassurantes. Ainsi et d’après M. Ladjel Latrache, attaché de presse du wali : «Les habitants des haouches vont bientôt être recasés», nous a-t-il déclaré sans toutefois donner une date précise. Avant d’ajouter que près de 400 logements sont en voie d’achèvement. «Le wali a donné des instructions fermes stipulant que les anciens souscripteurs aux différents programmes de logements, auront la primauté sur les autres. Car, il considère à juste titre, qu’ils ont été lésés», précisera-t-il. D’ailleurs et comme il a été révélé dans nos précédentes éditions, l’opération de délivrance des actes de propriétés a commencé cette semaine, et devra se dérouler jusqu’à la fin du mois de janvier prochain. Selon certaines sources proches de la direction de l’Habitat, l’opération de relogement devrait avoir lieu à partir du mois de février de l’année prochaine.
Ramdane Bourahla