Par-delà le folklore

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Comment faire en sorte que les cérémonies et les aspects festifs charriés par la célébration de Yennayer, premier jour de l’an amazigh, ne soient pas trop surdimensionnés, au point de s’apparenter à un folklore sans lendemain ni portée significative dans la société?

Par Amar Naït Messaoud

Si une telle question s’impose, c’est que, au cours de ces dernières années, la bride a été lâchée pour toute forme de festivité officielle ou semi-officielle, faisant prévaloir le folklore sur le joyau, la forme sur le fond, l’apparat sur la profondeur de la vie sociale. Il y a même une espèce de paradoxe difficile à saisir: la Kabylie, porteuse légendaire de toutes les revendications liées à l’identité amazighe, dont Yennayer, se trouve souvent en décalage pour la célébration familiale de ce jour béni du calendrier berbère, par rapport à ce qui se fait, sans grand bruit, dans certaines autres régions d’Algérie pour célébrer la même fête en famille. Dans les villes et villages des Hauts Plateaux, de l’Ouest algérien et d’autres contrées du Maghreb, la fête atteint son faste avec une soirée où les mets et les desserts changent complètement. Il y a des régions où la fête est prolongée pendant plus de deux jours. Ici, on est tenu d’égorger un coq, là on prépare les beignets (sfendj), ailleurs, on se met au cherchem (fèves, blé et pois-chiches) qui expriment le vœu d’une saison agricole sûre et abondante. Les desserts vont des abricots secs jusqu’aux gâteaux aux fruits secs (noix, amandes,…). En Kabylie, une grande partie des villages se met au couscous-poulet. Aux absents (en voyage ou émigrés), des parts de nourriture doivent être réservées. Selon les régions, des rituels suivent ces diners abondants, pour appeler, à l’occasion de ce qu’on appelle les « Portes de l’année » (tibbura useggas) à la fécondité de la terre et à l’abondance du ciel.

En célébrant dans les centres culturels ou autre lieux publics Yennayer comme on le fait au cours de ces dernières années, l’imagination n’est pas toujours au rendez-vous. Quelques exposés, parfois un petit gala, des fois un couscous géant, et le tour est joué. On est sans doute loin de l’idéal de célébration du nouvel an berbère, d’autant plus que, depuis presque deux décennies, des personnalités, des intellectuels et des associations appellent à son officialisation par l’État comme journée chômée et payée par laquelle les Algériens sont censés renouer avec leur histoire millénaire. Une histoire qui n’est d’ailleurs pas spécifiquement algérienne; elle est aussi maghrébine. Il n’y a pas que l’histoire qui le dit; il y a également l’actualité. Une actualité faite de vie familiale intense autour de Yennayer dans les villages marocains et dans certaines régions de Libye.Si la télévision algérienne s’ « acquitte » simplement de sa conscience en montrant, le 12 janvier de chaque année, les images folkloriques par lesquelles est célébré Yennayer, le monde associatif et les intellectuels sont supposés être plus profonds et plus percutants dans l’entreprise de recouvrement des valeurs, symboles et tous les éléments fondateurs de l’identité amazighe.Ce qui se fait actuellement en matière de célébration n’est pas à congédier complètement. Il s’agit de le renforcer, de lui donner plus de consistance et d’en élever le niveau, de façon à mieux communier avec la société qui porte Yennayer dans sa mémoire et dans son être. L’occasion est d’autant plus importante que la célébration, au niveau des instances officielles, demeure toujours au stade du folklore et de ce qui est appelé à tout va « patrimoine ». Ce dernier concept a fait l’objet d’un mésusage qui l’éloigne de toute préoccupation sérieuse. Il a fini par signifier, péjorativement, tous les restes d’histoire et survivances culturelles dont on nous demande de nous départir.Par-delà d’éventuelles pétitions ou demandes expresses, la meilleure façon de revendiquer l’officialisation de Yennayer comme jour de l’an amazigh et algérien, c’est assurément d’en faire définitivement un élément majeur d’identifié dont il y a lieu de renforcer la célébration en famille et d’en vulgariser le sens et la portée pour les jeunes qui n’ont pas eu la chance de le savoir à l’école.

Amar Naït Messaoud

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