La wilaya, commence tout juste à sortir la tête de l’eau avec l’argent qui coule à flots, les projets qui pleuvent, les contacts qui s’intensifient et les entreprises qui se bousculent au portillon, un scénario idéal ou presque, pour une véritable relance du développement, mais avec un bémol, le manque de main d’œuvre.
Car, il faut dire que sans mains travailleuses et qualifiées, tous les projets inscrits resteront en stand-by et la wilaya et ses citoyens demeureront englués dans le sous-développement. Ainsi, plusieurs projets accusent des lenteurs quant à leur lancement ou leur avancement, à l’instar des chantiers d’une dizaine de projets accordés aux secteurs de l’éducation, de la jeunesse et des ports, de la santé et de la culture, à la faveur de différents programmes de développement, mais hélas, non encore lancés Les retards accusés dans les projets de la piscine semi olympique et du centre d’urgence médicale de la localité d’Aïn Bessam, sont les preuves du manque de main-d’œuvre qui entrave l’exécution de pareils projets structurants pour la région. Les représentants des bureaux d’études et des entreprises évoquent, à chaque fois, cet épineux problème, notamment pour les projets nécessitant un savoir-faire, une bonne formation et de l’expérience. Certaines entreprises réalisatrices ont été obligées d’« importer » leur main d’œuvre de plusieurs wilayas et même de l’étranger. C’est le cas, notamment du projet de la piscine semi olympique d’Aïn Bessam, où le maître de l’ouvrage avait affirmé lors de la récente visite du ministre de la Jeunesse et des Sports : « Faute de main d’œuvre locale, nous avons eu recours et dés le lancement des travaux, à des maçons et des ouvriers spécialisés issus des wilayas de Sétif et de M’sila. Situation qui a entraîné des dépenses inattendues, car on était obligé de prévoir un budget spécial pour leur hébergement et leur prise en charge », a-t-il déploré. Le secteur du BTP est l’un des plus touchés par cette pénurie de main d’œuvre. Les entreprises ne manquent pas une occasion pour dénoncer cette situation qu’ils jugent alarmantes. Le Premier magistrat de la wilaya ne cesse, aussi, de déplorer ce manque. » A Bouira, nous connaissons, à l’instar des autres régions du pays, une véritable crise de main d’œuvre (…). Franchement, je ne comprends pas… Il s’agit peut-être de moyens financiers… Mais quand on sait qu’un maçon ou un plâtrier est mieux rémunéré que moi-même ou un cadre de l’État, on est en droit de se poser des questions. Les citoyens veulent un logement, c’est leur droit le plus légitime. Mais encore, il faut trouver qui va les bâtir « , soulignera le wali de Bouira à de très nombreuses reprises. A partir de là on est en droit de s’interroger sur les raisons de cette rareté. Les entreprises n’engagent pas ? Les jeunes ne veulent-ils pas se « salir » les mains ou sous estiment-ils ces métiers réputés durs? Ou alors rêvent-ils de devenir » patron » à leur tour grâce notamment au dispositif « ANSEJ »? Que fait le secteur de la formation professionnelle pour enrayer cette crise? Tant de questions qui entourent cette problématique et auxquelles les autorités publiques ne semblent pas encore avoir trouvé une solution.
«Les jeunes refusent de travailler»
Pour les entrepreneurs, du moins ce que nous avons interrogés, la réponse et claire : « Les jeunes ne veulent pas travailler dans ce secteur ». Ainsi, et d’après bon nombre d’entrepreneurs, » les jeunes veulent tous occuper un bureau et avoir un bon salaire, malgré un profil ne correspondant pas souvent à de tels postes », nous a-t-on confié. Pour M. Assam Ahmed, un entrepreneur de la région d’Aomar, son entreprise » va droit dans le mur », à cause de cette pénurie. » J’ai plusieurs chantiers et des contrats à honorer, mais je n’y arrive pas faute de main d’œuvre. Je sens que je ne vais pas tarder à mettre la clef sous le paillasson », s’est-il alarmé. Notre interlocuteur nous a affirmé qu’il a engagé pas moins de 60 travailleurs, entre carreleurs, charpentiers, maçons, et tous l’ont » lâché » au beau milieu du chantier. » Nos jeunes ne veulent pas se fatiguer! Ils n’ont aucune notion de l’effort, du salaire gagné à la sueur de leur front. J’avais plus de 60 employés et ils m’ont tous laissé tomber. Je me suis retrouvé à les supplier. Vous vous rendez compte ! ». D’autres entrepreneurs de la région de Kadiria iront dans le même sens en indiquant qu’ils trouvent toutes les difficultés du monde à » dénicher » un maçon. » On les assure, on les paie convenablement et ils ne veulent pas travailler. Que voulez-vous qu’on fasse d’autres? C’est une génération de fainéants! » s’insurgera M. El Hzami Tahar, gérant d’une entreprise de BTPH. Quant à M. Brahimi Achour, gérant d’une entreprise spécialisée dans la plomberie, il soulignera que les organismes d’aides à l’emploi sont en partie responsables de cette pénurie. » De nos jours, le credo à la mode est celui que chacun crée son entreprise et devienne patron. C’est un leurre. On aura toujours des personnels pour travailler et édifier. Les logements ne vont pas se construire tous seuls », fera-t-il remarquer. Dans leur ensemble, la quasi-majorité de nos interlocuteurs affirment que les jeunes sont pour la plupart des partisans du moindre effort.
Les ouvriers dénoncent «l’esclavagisme»
Face à ces critiques, certains jeunes chômeurs que nous avons eu l’occasion d’interroger répliquent qu’ils ne sont pas « des esclaves ». « Payez nous en conséquence, assurez nous et nous travaillerons mieux que les chinois » assurent-ils. Ainsi, pour Farid, un jeune chômeur âgé de 26 ans, les entrepreneurs, du moins ceux à qui il a eu à faire, sont des » maîtres esclavagistes et des profiteurs ». » Je n’ai pas eu la chance de terminer mes études, mais j’ai fait une formation de carreleur au niveau de CFPA de ma commune. Après l’obtention de mon diplôme, j’ai travaillé par ci par là et j’ai tout de suite arrêté », a-t-il confié. Interrogé sur les motifs qui l’ont conduit à abandonner, ce jeune homme lâchera : » J’ai ma dignité! Tous ceux pour qui j’ai travaillé m’ont traité comme un moins que rien. Ils ne cessaient de me crier dessus et me rabrouer à la moindre incartade et le tout pour un salaire de misère de 8000 DA », a-t-il affirmé. Notre vis-à-vis a tenu à préciser que pour trouver un job dans les grosses entreprises, où les conditions de travail sont moins rudes et la rémunération plus attrayante, il faudrait avoir » le bras long ». » J’ai tenté de me faire embaucher au chantier de l’Université de Bouira, mais d’autres m’ont devancé. Non pas par l’expérience ou le professionnalisme, mais par des entrées que moi je n’ai malheureusement pas », s’est-il désolé. Pour d’autres jeunes, c’est le problème du salaire qui pose problème. » On trime nuit et jour, sous un soleil de plomb ou sous une pluie torrentielle, et on touche des broutilles. L’esclavagisme a été aboli il y a plus de trois siècles, autant que je le sache », tonnera Nabil, un ex ouvrier du bâtiment, qui s’est reconverti dans le gardiennage de voiture. Pour ce jeune homme, les entrepreneurs s’enrichissent sur le dos des ouvriers et quand ces derniers réclament un meilleur salaire, les patrons les humilient sans aucune retenue. » J’ai travaillé pendant un temps à Batigec, sur le chantier du théâtre de verdure de Bouira. J’étais ferrailleur. Et bien, quand on s’est mis en grève pour réclamer notre dû,; le chef de chantier nous a publiquement humilié en disant que nous sommes le déchet de société et que nous sommes bons qu’à porter du parpaing et à mélanger le ciment », a-t-il témoigné non sans une certaine rage. Madjid, vendeur à la sauvette du côté de la rue de France, estimera, quant à lui, que certaines entreprises n’étaient pas honnêtes. Pour preuve, il déclare avoir travaillé pendant plus de six mois sur le chantier des 50 logements des enseignants de la fac, sans qu’il ne soit déclaré à la sécurité sociale. » J’ai été naïf… J’ai cru le chef de chantier qui m’avait promis de m’assurer. Quand j’ai senti l’arnaque, je me suis insurgé et il m’a mis dehors manu militari ». Pour d’autres, les expériences des chantiers leur ont servi pour monter leur propre entreprise, avec l’aide de l’ANSEJ. C’est le cas de Djelloul, un ex-maçon. Désormais, il est à la tête d’une entreprise de BTP. « J’ai acquis une certaine expérience en trimant de chantier en chantier. J’ai galéré et je me suis fait humilié je me suis même blessé à la tête. Mais maintenant, tout ça est fini, Dieu merci! J’ai bénéficié d’un prêt de l’ANSEJ et j’ai monté ma petite boîte », a-t-il dit.
L’ANSEJ n’arrangerait pas les choses
Ce cas, nous amène inévitablement à nous poser la question sur le rôle de l’ANSEJ, dans la pénurie en main d’œuvre. Et si l’on se réfère aux chiffres donnés par le directeur de l’antenne de l’ANSEJ à Bouira, M. Hamal, les jeunes se tournent de plus en plus vers le BTPH, mais en qualité de » patron ». Ainsi, et selon ce responsable, sur 1 096 dossiers déposés au niveau de son organisme en 2013, 813 ont été validés. Sur ces 813 projets, 780 ont reçu l’accord bancaire. Au total, 739 projets ont, d’ores et déjà été financés. Ce qui a permis, selon le même responsable, la création de pas moins de 1 629 postes de travail sur la même période. En 2012, l’ANSEJ de Bouira avait validé 1 092 projets, précise-t-on. Mais le chiffre qui nous intéresse, est celui inhérent au BTP. On apprendra donc que sur ce total, 157 projets de BTPH ont été validés et financés par cet organisme, juste dernière l’incontournable secteur des services, avec 167 projets financés. Ainsi, la donne a radicalement changé. Maintenant, on souhaite plus travailler, mais faire travailler les autres. Bref, être son propre patron. Mais ces entreprises qui se créent à la » va-vite » ont-elles de réelles chances de tenir sur long terme? Ont-elles une véritable vision de l’entreprise et, surtout, peuvent-elles créer à leur tour de l’emploi? Eh bien, selon certains experts, la réponse est négative. En effet, et selon M. Boukrif Moussa, docteur en économie et professeur à l’Université de Béjaïa, le taux de « mortalité » des PME/PMI algériennes est très élevé. » Plus de la moitié des entreprises créées en Algérie, ont une espérance de vie qui ne dépasse pas les trois ans », a-t-il affirmé lors d’une conférence sur la compétitivité des entreprises. Par la suite, ce spécialiste évoquera le phénomène de la pénurie de la main d’œuvre et son lien » étroit » avec la prolifération des entreprises » Ad hoc ». » Chez nos jeunes entrepreneurs, la création d’entreprise est une idée à défaut, ou bien faute de mieux. Nos jeunes, n’ont pas cette culture de l’entreprise, loin de là ils choisissent de créer une entreprise pour survivre, et non pas dans le but de créer et d’innover », a-t-il estimé. Donc selon cet expert, le dispositif d’aide à l’emploi écarterait les jeunes des chantiers et les pousseraient vers les sentiers de l’entreprenariat, qui peut s’avérer périlleux s’il n’est pas mûri.
La formation pour combler les manques
De son côté la direction de la formation et l’enseignement professionnels de Bouira a, depuis quelques années déjà adapté ses formations à la demande du marché du travail et tenté de combler les carences. Pour ce faire, les 37 CFPA, repartis à travers l’ensemble du territoire de la wilaya, proposent des formations diplômantes de carreleur, plâtrier, maçon, électricien et autres, et ce, dans le but d’intégrer les stagiaires formés au marché du travail. D’ailleurs, des conventions entre la DFEP de Bouira et diverses entreprises, ont été signées. Ces conventions, ont pour objectif d’alimenter les entreprises en main d’œuvre qualifiée et d’assurer un poste d’emploi aux stagiaires, dés la fin de leur cursus. Ainsi, avec plus de 19.000 inscrits pour la rentrée de février, Bouira dispose d’un gros potentiel en main d’œuvre, qu’il faudrait encadrer d’avantage et surtout « caser » directement à la sortie du centre. A travers tout ce qui a été relaté il est aisé de déduire que la problématique de la main d’œuvre à Bouira, à l’instar des autres régions du pays, est complexe. Les autorités locales devraient se pencher sur le sujet, afin de trouver et déterminer « le juste équilibre » entre la demande du marché et les exigences des employés. Car, il est plus qu’évident que l’un comme l’autre, doivent faire des concessions pour garantir la pérennité du développement.
Ramdane B. / Oussama K.