Par Rachid Oulebsir
En 1997 le FFS criait à la fraude parce que l’équipe de Mira aurait manipulé le fichier électoral et inscrit des indus résidents ! En 3 ans le FFS a eu le temps suffisant à la révision des listes électorales et à l’inscription de tous les siens qui auraient été oubliés par le passé. Comment un parti aussi puissant localement que le FFS se fait-il battre par une liste indépendante, alors qu’il avait tous les atouts de la victoire, notamment l’administration municipale, entre les mains ? Qui est responsable de cette enième débâcle face au même adversaire, Smaïl Mira en l’occurrence, un personnage fortement diabolisé qui n’a plus les mêmes forces après avoir subi dans ses biens et ses symboles, la déferlante des archs ? Les raisons de la défaite sont internes au parti d’Aït Ahmed. Est-ce le scénario de la trahison de 1997 qui s’est reproduit ? on se souvient de l’élection de 1997 marquée par l’infidélité de nombreux responsables du FFS bien placés dans l’appareil local, qui avaient rallié le camp adverse en dernière minute et assumé publiquement leur choix. Certains militants en rupture de ban considèrent que la défaite était prévisible dès l’officialisation de la liste électorale inspirée par des décideurs claniques et truffée de noms, sans aucun lien organique avec le parti. D’autres, enfin vont plus loin, accusant la section locale de livrer le parti à chaque élection aux barons du clanisme qui l’utilisent pour régler les comptes tribaux et les querelles séculaires interclaniques. Outre la force de l’adversaire, quatre causes internes au FFS local, expliquent cette mauvaise surprise. Le vote sanction du léger bilan de trois ans de tâtonnement, la trahison supposée de quelques décideurs du parti, la composition de la liste électorale portée par une campagne électorale qui a ignoré les enjeux locaux et enfin la jonction du FFS avec l’un des deux clans rivaux, le Sof-oufella en complète déconfiture. “Trois ans c’est juste suffisant pour faire un audit sérieux des potentialités de la commune. On ne peut valablement évaluer ce mandat écourté, les réalisations commencent à peine à sortir de terre”, affirment les sympathisants du vieux parti d’opposition. “Rien n’a été fait comme promis”, répondent les détracteurs du FFS et quelques militants désenchantés.
L’insoutenable légèreté des promesses
Après l’élection de l’automne 2002, l’équipe du FFS était attendue sur deux contributions urgentes : rendre publique toutes les dérives reprochées à Smaïl Mira et ouvrir l’APC à une large représentation populaire. Cet audit supposé éclairer la population sur les prétendues dérives de la gestion occulte des mandats passés, avancé comme tâche fondamentale n’a jamais été entamé. Bien au contraire, M. Belkhichène le P/APC FFS a affirmé publiquement à maintes reprises “qu’il n’était pas venu pour régler des comptes”, manière polie de se dérober à une revendication historique locale brandie par le FFS comme un credo mobilisateur. La section du FFS n’a rien communiqué aux médias. Elle n’a pas, à ce jour, quantifié l’ampleur de ces prévarications et cette corruption qu’elle n’a cessé de coller durant des années au personnage du maire précédent. Les promesses révolutionnaires de la campagne électorale de l’automne 2002 ont vite été enterrés au point d’accréditer la thèse populaire de l’existence d’un deal entre les deux clans. Au-delà des réalisations matérielles, le FFS était attendu dans le changement des méthodes de gestion dans la participation populaire à la conduite des affaires de la cité. C’est la communication avec le citoyen et le mode de gestion qui sont en cause. Dans ce domaine précis le FFS qui s’autoproclame seul représentant de l’opposition démocratique se devait de démontrer une supériorité incontestable sur les tenants de la culture du parti unique. La participation citoyenne à la gestion de l’APC par le truchement du mouvement associatif et des comités de quartiers promise de tous temps par le FFS n’a pas vu le jour. Trois années n’ont pas suffi à constituer et réunir le conseil consultatif de la commune qui serait composé des représentants des associations et des notables de villages, comme promis. La diabolisation systématique de tous ceux qui ne partagent pas la vision de la section locale du FFS, a prévalu. Comme à l’époque du parti unique, les intellectuels, les hommes de culture, les artistes sont taxés de “mouchouichine”. Les correspondants de presse, auxquels est reprochée la liberté de ton, sont voués à la vindicte des militants du parti. Cela rappelle bizarrement les vieux réflexes du FLN et son article 120. le verrouillage de la section FFS par les maîtres du clan nord est d’une étanchéité à toutes épreuves.
L’interface de Smaïl Mira
“Tout ce qui était critiqué dans la gestion de Smaïl Mira est reproduit en plus grand. Autrefois l’équipe de Mira qui gérait l’APC avait négligé les quartiers habités par l’électorat du FFS notamment Rodha. L’exécutif FFS a eu les mêmes réflexes. Il s’est recroquevillé sur ses propres quartiers exclusivement. Certains ilots habités par un électorat favorable à Smaïl Mira comme Tassargant ou Allaghane ont connu des pénuries d’eau répétées dont certaines ont duré plus d’un mois. C’est sous le règne de cette équipe que Tazmalt a connu la typhoïde pour la première fois de son histoire. On reprochait à Smaïl Mira d’utiliser les moyens de la commune au service de son électorat. on a vu le FFS faire de même. Les moyens bureautiques de l’APC étaient utilisés pour le tirage et la reproduction de la littérature du FFS, les infrastructures culturelles accaparées pour ses activités politiques. L’opposition notamment le RCD, n’a pas bénéficié de sièges lors de l’attribution de locaux qui sont revenus au FFS et aux associations qui tournent dans son giron. Le recrutement du personnel dans le cadre de l’emploi de jeunes et des autres dispositifs étatiques a profité spécialement à la jeunesse FFS alors que le logement social a été distribué en toute transparence aux proches du FFS. A l’opacité de l’ancienne équipe s’est substitué le diktat de quelques familles qui tenaient en otage l’exécutif communal. Sur la trentaine d’associations activant dans la commune, une seule a les faveurs de l’APC, qui est allée jusqu’à lui attribuer un terrain à l’intérieur d’une école”, résume un citoyen qui a quitté le FFS pour faire campagne au RND. Le FFS a été sanctionné par ses propres militants et sympathisants qui ne se reconnaissent pas dans ces pratiques claniques, spécialement à travers la faible participation des femmes. “Quand on ne se donne pas la peine de ramener sa femme voter, c’est qu’on a accepté la défaite d’avance”, affirme A. G., citoyen d’Allaghane, deuxième pôle électoral de la commune qu’aucun citoyen ne représente dans la liste FFS. La motivation n’y était pas pour plusieurs raisons dont la composante humaine de la liste, n’est pas des moindres.
Le FFS squatté par le FLN
“C’est une liste composé de vieux caciques du FLN qui a représenté notre parti”, affirme Z. S., un ancien militant qui s’est mis à l’écart de l’appareil local. Et d’ajouter : “quand le sort de Tazmalt, la ville aux mille chahids est mis entre les mains d’Obingo, le résultat est prévisible. En réalité la liste électorale a été confectionnée dans les laboratoires du Sof-oufela. Le numéro un est un ex-élu du FLN dans la wilaya de Bouira, le second est un ancien chef de daïra, organiquement très loin du FFS, le troisième n’est rien moins que l’ancien maire FLN de Béni Mélikèche et la liste peut s’allonger pour être bouclée par un universitaire classé pour le symbole en dernière position. C’est à croire que le FFS ne possède pas de militants, pour se rabattre sur les vieux caciques du FLN qui découvrent à l’occasion que le FFS est un bon cheval pour faire un dernier galop électoral”. En s’ouvrant sur la société civile au milieu des années 90, le FFS a donné l’occasion à de nombreux arrivistes, qui ont fait fortune par l’allégeance à la bureaucratie d’Etat de se blanchir politiquement et de s’auréoler de l’icône prestigieuse de Hocine Aït Ahmed. Cet engagement intéressé devient des plus timides quand ils trouvent plus puissant en face d’eux.L’embourgeoisement du FFS est perceptible à la première lecture de l’appartenance sociale de ses P/APC, ou de ses élus à l’APW. De parti populaire représentant les travailleurs, les paysans, les petits salariés, avec un capital historique de luttes pour le triomphe des valeurs de liberté et de justice sociale, le FFS est devenu le refuge de la petite bourgeoisie qui a grandi dans la servitude de la bureaucratie d’Etat. Le mot “trahison” ressassé par des militants écartés des structures du parti interprète et conceptualise cette dénaturation du FFS. Les nouveaux chefs ont de l’argent, le FFS a gratuitement compensé leur déficit d’image politique, un véritable marché de dupes ! “Anciens militants, membres des réseaux dormants du parti unique, ils se sont recousus une virginité avec l’appareil du FFS. Leur victoire est certaine à tous les coups. Gagnant l’élection, ils assouvissent un vieux rêve de petits despotes, perdants c’est le FFS qui encaisse le coup, à la grande joie des enfants du système !” Résume T.H. militant idolâtre de Da l’Hocine, abattu par la défaite inattendue de son parti. Et d’ajouter “la force du FFS c’était la solidarité et la fraternité entre les militants et les sympathisants. On a substitué à cette culture qui vient des profondeurs de notre kabylie, le réflexe de prise en charge et d’assistance par deux ou trois bourgeois qui achètent la fidélité avec leur argent. La tentation de s’allier à l’adversaire plus fort est inscrite dans cette culture nouvelle”. La campagne électorale menée par les ténors de la direction nationale à complètement éclipsé les édiles locaux, qui se devaient de démontrer leur consistance face à un adversaire de la trempe de Smaïl Mira. Les thèmes choisis étaient loin des préoccupations immédiates des citoyens. Les envolées lyriques de Laskri et les tournures décapantes de Tazaghart, n’ont pas éclairé les citoyens sur les capacités d’un Belkhichène à régler les problèmes de la cité beaucoup mieux qu’il ne l’a fait en trois ans.
L’embourgeoisement contre-productif du FFS
Le pouvoir des clans composés de familles fortes en hommes et en biens, autour desquelles s’agglomèrent des groupes sociaux soumis à la précarité, a fait son temps en principe. Cette forme d’organisation politique, voire administrative, tirait son essence de l’absence d’Etat central, ou de bouleversements révolutionnaires, quand la population ne reconnaît pas l’autorité centrale en place. Ce fut le cas, sous le pouvoir des Janissaires turcs et sous la colonisation française. Le village kabyle, entité géopolitique principale, était traversé par les oppositions entre clans qui se disputaient la représentation villageoise dans la Tajmaât. Mais chaque fois que l’intérêt général était en jeu, le village se ressoudait autour des anciens de l’Agraw, et réalisait le consensus autour des questions vitales. De nos jours l’empire des clans n’a plus sa raison d’être. Sorti douloureusement du règne absurde du parti unique, il est inconcevable pour le citoyen de retomber dans la logique médiévale du despotisme des familles fortes. La biporalité FFS-RCD a épousé le couple clan Nord-clan Sud et trouvé dans les rivalités claniques séculaires un puissant, mais illusoire moteur qui a vite fait de tomber en panne, même si durant les périodes électorales, il est réparé et gonflé à bloc. les clans ont imposé leur logique d’involution historique et leurs limites géopolitiques, aux nouveaux partis qu’ils squattent quelques mois avant les élections, pour les abandonner une fois les résultats connus. Le RCD a tout simplement fermé boutique pour se mettre sous la houlette de Smaïl Mira l’homme fort du Sof-gwada, et le FFS dans son désir de s’ouvrir sur la société civile s’est fait piéger par le Sof-Oufella, qui l’a phagocyté et vidé de ses militants les plus engagés. Pour l’anecdote, en 1990, lors des élections municipales boycottées par le FFS, la section de Tazmalt avait demandé une dérogation à Hocine Aït Ahmed pour participer et contrer le clan Sud qui se dirigeait en solo vers la victoire ! Voilà le genre d’extrémité que l’esprit de clan impose à la logique des partis !“Même dans le jeu de Tassefit, les barons du clan Nord sont maladroits. La tentation de faire jouer à leurs familles les premiers rôles les aveugle. Ils demandent aux familles qui ont des milliers de voix, de s’aligner derrière celles dont le poids est insignifiant ! Ils perdent à chaque fois, mais ils recommencent avec les mêmes recettes. Ce qui les intéresse c’est d’exister en maîtres du clan, pendant la période fiévreuse des élections et réaffirmer la suprématie de leurs familles et leur mianmise sur le clan. Le FFS n’est qu’un outil dont ils se servent comme l’a été le FLN durant 30 ans. Le Sof-Oufella n’a pas de leader fédérateur, il recourt alors à une collégialité hybride dont la résultante des forces s’annule au lieu de se multiplier. Smaïl Mira les ramène sur le terrain où il est gagnant d’avance parce que son clan a une supériorité numérique avérée, depuis le découpage électoral de 1984, qui a isolé les forces du clan d’en haut dans la commune de Béni-Mélikèche”, explique M.S tourmenté par tant d’énergie gaspillée.
Tassefit, c’est de l’esclavage !
Tassefit suppose la fidélité au message des anciens. On se souviendra des querelles et des vengeances inassouvies, des dettes de sang, des trahisons tues et ravalées.L’élection est le moment privilégié pour tout remonter en surface et régler les problèmes pendants. Tassefit est une logique de protectorat que développent les familles fortes sur les familles faibles. Elle prend diverses formes, où s’expriment la dépendance des faibles vis-à-vis des puissants. Cela va de l’emploi jusqu’à la sécurité, en passant par le logement et la représentation sociale.Le citoyen démuni est ainsi pris en charge par une famille puissante, contre son obéissance et sa servitude. Cet asservissement s’exprime politiquement par un alignement total, sur le comportement du maître. Le citoyen est esclave du clan. On naît dans un afrag qui appartient à une taâouif qui relève d’un Sof qui se bat contre le Sof rival et c’est ainsi jusqu’à la mort ! Vous pouvez sortir de la Sorbonne ou de la Nasa, c’est toujours le grand-père qui décidera pour vous lors du vote ! Ainsi est l’immuable loi des clans. Quand vous refusez cette logique antique, vous êtes qualifié de traître et excommunié ! Les partis politiques qui encouragent ces pratiques et y recourent pour gagner un ou plusieurs sièges, sont condamnables à plus d’un titre, d’autant plus qu’ils se revendiquent champions du progrès, de la modernité et de la démocratie ! Ni le RCD, ni le FFS ne peuvent se défausser sur une quelconque raison, ils ont tous les deux depuis 1990 ressuscité, alimenté, nourri l’esprit de clan et pratiqué tassefit à outrance chaque fois que l’occasion leur était donnée de gagner quelques voix. Cette fois encore, le FFS s’est plus conduit comme un clan de quelques familles, qu’un parti politique avec une ligne claire, un programme de développement local réalisable et un discours qui s’adresse à un large électorat populaire. “En se comportant comme un parti ouvert à l’ensemble des citoyens le FFS pouvait gagner sans trop d’efforts”, estiment les observateurs politiques. La mobilisation s’est faite contre Smaïl Mira et non pour des candidats du FFS. On a déterré les vieilles rancunes,les antiques et indicibles animosités et investi dans les anciennes rivalités. L’acharnement était tel, que de nombreuses familles ne pouvant assumer cette adversité gratuite se sont abstenues. Cette prudente abstention est assimilée à une haute trahison ! “Ce n’était pas une campagne électorale mais des préparatifs de guerre, contre un personnage que les bourdes et maladresses du FFS ont largement contribué à forger”. Tazmat est l’une des rares communes de Bgayet, où le taux de participation a dépassé 50%. Gagner l’élection municipale dans cette contrée historiquement marquée par des rivalités tribales, est un enjeu existentiel. Celui qui perd s’efface de la vie publique et le gagnant n’est redevable d’aucune mansuétude. Telle est la dure loi des clans, le sof-gwada et le sof-oufella. Sous l’emprise de son sof, le maire n’a jamais pu être le magistrat de tous les citoyens, mais bien exclusivement le maire du clan gagnant. Avec une telle culture, l’on comprend que l’engagement et l’acharnement qui ont marqué ces joutes et déterré les vieilles querelles auraient pu mener au pire. Après la victoire de son idole, un homme a bien vidé le chargeur de son pistolet sur un autre qui aurait tenté de gâcher la fête.Un groupe de quidams a bien brûlé la maison et les véhicules de ce dernier. Un citoyen s’est fait molester sur l’avenue principale pour avoir “mal voté”. Des citoyens sont mis en quarantaine dans leur quartier, pour avoir accordé leur suffrage pour le mauvais clan. Des familles se retrouvent déchirées, des femmes répudiées, des mariages défaits, des alliances brouillées des travailleurs renvoyés par leurs employeurs. C’est tout ça Tassefit ! Voilà une forme d’intégrisme qui a disparu un peu partout, mais qui refleurit à Tazmalt comme une mauvaise herbe en période de sécheresse. Le développement économique et la distribution de revenus, notamment par la création d’emplois est une base de départ pour libérer les citoyens de la précarité, donc de la dépendance économique et son corollaire l’esclavage politique.
R. O.