«Je voulais contribuer à l'écriture de l'histoire »

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Dans cet entretien, la sociologue retrace l’histoire de la mobilisation des femmes algériennes pour leurs droits. 

La Dépêche de Kabylie : Pourquoi revenir sur l’historique et l’évolution du mouvement féministe en Algérie?

Feriel Lalami : Retracer le parcours du mouvement des femmes en Algérie, c’est d’abord combler un manque. Et il faut préciser que l’absence des femmes dans l’histoire n’est pas propre à l’Algérie. On a souvent dit que les femmes ‘’n’ont pas d’histoire’’ et ce n’est que depuis le XX° siècle, avec l’essor du féminisme, que, partout dans le monde, les femmes ont investi l’actualité pour rappeler leur contribution à l’histoire et remettre dans la lumière les figures féminines oubliées. En effet, ce qui subsiste du passé dans la mémoire collective n’est pas objectif, mais c’est une défaillance des historiens, eux-mêmes influencés par les sciences sociales. Il s’agit donc de faire en sorte que l’action des femmes ne soit pas oubliée pour ne pas être condamnées à se répéter. Ecrire l’histoire du mouvement des femmes c’est aussi écrire l’histoire de l’Algérie. Ainsi, c’est du bouillonnement des années 1980, riches en actions et revendications démocratiques (étudiante, berbère, droits de l’Homme…) que va résulter le formidable soulèvement d’octobre 1988. En 1989 le verrou du parti unique saute et la Constitution de 1989 ouvre une ère de libre expression.

Et qu’en est-il du processus féministe après « la décennie noire »?

Après la période d’affirmation du féminisme algérien à la fin des années 1970, et son développement jusqu’en 1991, vint la décennie noire des années 1990 qui a été destructrice pour tous les mouvements sociaux, en particulier pour les femmes. Les violences extrêmes ont eu pour conséquence la paralysie de l’activité politique, le départ des militantes menacées et leur assassinat comme ce fut le cas de Nabila Djahnine, le 15 février 1995. Pendant 10 ans, l’absence de débats et de pratique politique a rendu très difficile l’avancée des demandes de droits.

Est ce que la révision de certains articles du code de la famille a été efficace et bénéfique pour les femmes ?

En 2005, le code de la famille a été révisé pour la première fois depuis sa promulgation en 1984. Certes, il y a eu des améliorations : ainsi le devoir d’obéissance de l’épouse a été supprimé et la femme divorcée peut rester à son domicile avec ses enfants mineurs. Mais il demeure encore de nombreuses inégalités comme la polygamie qui n’a pas de sens dans notre société où les jeunes ne se marient pas avant leurs 30 ans et qui est une source d’humiliation pour les femmes. Le divorce à la demande de l’épouse reste encore trop souvent un parcours du combattant et peut la contraindre à subir des situations pénibles pour elle et les enfants. Il reste donc du chemin à parcourir.

Quelles sont les raisons qui vous ont poussée à écrire ‘’Les Algériennes contre le code de la famille’’ ?

Le projet de mon livre est né du constat qu’il n’y avait pas d’écrits sur la naissance et les actions du mouvement des femmes en Algérie. Les quelques articles qui abordent la question comportent des erreurs ou pêchent par omission. Je voulais donc contribuer à l’écriture de l’histoire, notamment celle du mouvement dans sa période d’effervescence. Pour ce travail, je suis allée à la recherche de documents. Il ne pouvait s’agir d’articles de journaux puisque les groupes de femmes ont commencé à agir de façon informelle à la fin des années 1970. J’ai sollicité les témoignages des femmes qui étaient actrices du mouvement à ses débuts. J’ai également collecté toutes les publications existantes. Par ailleurs, j’ai consulté les archives disponibles de l’opposition algérienne et également les journaux pour la période d’après 1989. Tels sont les matériaux utilisés pour écrire l’histoire du mouvement des femmes en Algérie, de sa naissance à 2009.  J’ai choisi l’axe du code de la famille parce que c’est autour de cette question que s’est cristallisé le mouvement des femmes en Algérie. Au début des années 1980, certains projets du code de la famille ont suscité des protestations collectives de femmes révoltées par leur contenu. Quatre manifestations eurent lieu rien qu’en 1981, une époque où, il faut le rappeler, toutes organisation et action en dehors du FLN n’étaient pas autorisées. Le mouvement culturel berbère avait ouvert la voie en 1980 par les grandes manifestations d’avril, celles du Printemps berbère.

Est ce que le mouvement  féministe algérien a bénéficié d’un soutien international?

Je ne parlerais pas de soutien mais plutôt de solidarité. La solidarité vient de ce qu’on a conscience de vivre une situation qui répond à la même logique, que l’on soit à Alger, Washington ou à Paris, parce qu’on est une femme. La solidarité consiste à faire circuler la connaissance sur les situations particulières et à soutenir, dans le respect de tous les paramètres, le combat des unes et des autres contre l’injustice. Les Algériennes, par leur vécu pendant la guerre pour l’indépendance, dans la constitution de leur mouvement pour l’égalité et dans les luttes pendant la décennie noire, ont beaucoup d’expériences à faire partager.

Entretien réalisé  par L. Hassaini 

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