In memoriam

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Il a été le premier, parmi ses pairs, à ouvrir la liste du martyrologe post 88. Perdre un intellectuel racé de la dimension de Mouloud Mammeri est une tragédie incommensurable tant pour son pays, pour le Maghreb que pour le monde entier.

D’abord, son pays, l’Algérie perd en cet anthropologue et ethnologue un de ceux, peu nombreux du reste, à avoir expurgé ces deux disciplines des visions exotiques et réductrices de nombreux orientalistes, voire « algérianistes », il a été un militant de la cause identitaire pondéré pas agité. Il a tenté par ses moyens propres de faire comprendre par la persuasion la dimension amazighe de l’Algérie et la diversité de ses expressions. Il a été un romancier qui, déjà à son avènement avec « La colline oubliée », n’a pas laissé indifférente, une partie de ceux qui représentaient alors l’intelligentsia « indigène ». Mustapha Lachraf et Abdelkader Sahli l’accusèrent, d’emblée et sans aucune forme de procès, de s’être rangé du côté des écrivains de la colonisation, titrant leur article commun « La colline du reniement ». Premier procès d’intention contre l’homme qui est resté stoïque face aux nombreuses attaques dont il était l’objet. Mieux, il a été particulièrement fécond au profit du combat pour l’indépendance de son pays. La plupart des rapports lus par Mhamed Yazid à l’ONU étaient  écrit par Mouloud Mammeri, dont le nom de guerre était  Brahim Bouakkaz. Il a été de tout temps le phare vers lequel se dirigeaient  des cargaisons  de jeunes épris de connaître leur langue et leur culture. Puis vint avril, à une poignée de jours du printemps 80, convié à donner une conférence sur « la poésie kabyle ancienne », celle-ci fut purement et simplement  interdite. Autodafé impromptu ! Ce fut l’occasion d’un déferlement de supputations sans précédent  que devait  encore affronter, avec la sérénité qui l’a toujours caractérisé l’auteur de « La traversée ». On l’a accusé de tous les maux, même des plus avilissants. Et il y objecta avec ses mots ciseler et vertigineux de justesse, ainsi aux propos de celui qui avait l’outrecuidance ce lui faire la leçon à travers les pages d’El Moudjahid, en l’occurrence Kamel Belkacem : « … les allégations me concernant personnellement, je fais l’hypothèse charitable que votre bonne foi a été surprise et que ce qui ailleurs s’appellerait mensonge et diffamation (et serait à ce titre passible des tribunaux) n’a été chez vous qu’erreur d’information. Il va de soi que je n’ai jamais écrit dans l’Echo d’Alger l’article mentionné dans votre texte. Il va sans dire que je n’ai jamais eu à refuser de signer le mystérieux manifeste pro – FLN de 1956 que vous évoquez en termes sibyllins. (…) Poursuivant plus loin « La poésie kabyle fait partie du patrimoine national. Nous sommes cependant quelques-uns à penser que la poésie kabyle est tout simplement une poésie algérienne, dont les Kabyles n’ont pas la propriété exclusive, qu’elle appartient au contraire à tous les Algériens, tout comme la poésie d’autres poètes algériens anciens comme Ben Mseyyeb, Ben Triki, Ben Sahla, Lakhdar Ben Khlouf, fait partie de notre commun patrimoine ».  Il est incontestable, que Mammeri  ne s’est jamais dérobé à ce qu’il considérait comme son devoir national.  Cependant, il n’a omis ni l’adret, ni l’ubac, ni l’amont ni l’aval,  ni l’âme ni l’esprit. Il a été intégralement algérien et c’est de ce point nodal, qui est  le territoire qui fonde son inspiration, qu’il s’est inscrit dans l’université.  De retour d’Oujda (Maroc) où il était convié à assister à un colloque sur l’amazighité il disparaît dans un accident de la route, non loin de Aïn Défla, le 25 février 1989. Il est  allé vers la légende et la légende lui a ouvert les bras.

Sadek A.H

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