par Amar Naït Messaoud
Le ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales, M. Tayeb Belaiz, avait préconisé en novembre dernier ce qu’il a appelé une “charte élus-citoyens», tendant à harmoniser cette relation et à l’installer dans une sorte de confiance mutuelle. « Ce document, qui s’inscrit au titre de la consécration des droits des citoyens au suivi de la gestion de leurs assemblées élues, permettra également l’instauration de nouvelles règles d’engagement des élus envers la population et facilitera l’intervention des citoyens dans la vie de leurs collectivités », avait déclaré le ministre, en novembre dernier, lors de la cérémonie de l’installation du nouveau wali de Béchar. Il disait voir dans ce nouvel outil, dont il n’expliquait pas les détails et auquel il n’avait pas fixé d’échéances, « un cadre définissant les règles de gestion transparente et d’équité à respecter par les élus au cours de l’exercice de leurs mandats, où ils seront appelés à faire des bilans semestriels, annuels et à la fin de leur mandat sur l’ensemble de leurs activités ». L’on a comme une impression de “déjà entendu” lorsqu’on essaye de décrypter ce genre de propositions. Les engagements de l’ancien ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales, Daho Ould Kablia, étaient déjà d’une séduisante présentation. C’était avant l’adoption des nouveaux codes de la commune et de la wilaya en 2012, dont on connaît les insuffisances et les limites. Il dénonçait alors l’anarchie régnant dans les exécutifs communaux et les luttes intestines et politiciennes qui bloquaient, parfois pour plusieurs mois, la vie des citoyens. Il dira, en la circonstance, pour caractériser les dérives du pluralisme politique au niveau local : « Il se trouve que le seul cas où les partis de l’Alliance présidentielle conjuguent peut-être leurs efforts soit pour faire tomber le président d’APC ». Là il parlait des anciens membres d’un regroupement politique supposé uni et solidaire. Que dire alors des élus appartenant à des formations diamétralement opposées qui s’entredéchirent tout au long de leur mandat. Actuellement, des APC sont complètement bloquées, certaines depuis leur installation en décembre 2012. Des présidents d’APC ou des adjoints-maires sont derrière les barreaux pour des affaires de malversations ou de violation de la réglementation de marchés publics. Des projets PCD, utiles pour les citoyens, attendus depuis des années, souffrent sur le terrain par la faute d’une action coordonnée et le manque de suivi de la part de l’exécutif communal. L’ancien ministre a fait l’éloge d’une “démocratie participative’’ qu’il convient d’asseoir dans les futures assemblées : les citoyens, par le truchement des associations de quartiers et des organisations professionnelles, participeront aux décisions des exécutifs communaux relatives à la politique de la jeunesse, de l’éducation, de l’environnement, de la santé de la distribution de l’eau, de l’assainissement,…etc. Le nouveau code communal comporte ses propres limites en matière de “démocratie participative”. Il a été critiqué dans l’hémicycle de l’APN et par des personnalités indépendantes. En réalité la relation entre les responsables administratifs ou élus et la population ne cesse de connaître tensions et crises, au point où une énergie considérable est dépensée pour contenir la colère et la protesta des citoyens par le déploiement de la force publique, par des rattrapages/corrections de positions ou de programmes, et, enfin, par des efforts laborieux et souvent sans résultats pour regagner la confiance des citoyens-électeurs-contribuables. Le hic est sans doute dans ce triptyque qui n’arrive pas à prendre une forme claire, assumée et responsable dans les esprits et dans la réalité du terrain. Si les deux derniers concepts, électeur et contribuable, sont soumis à des procédures administratives inévitables, consistant à soumettre tous les salaires, les charges onéreuses et les échanges financiers à une imposition fiscale, et à convoquer le corps électoral pour des scrutins locaux et nationaux, le premier concept, à savoir la citoyenneté souffre, quant à lui, d’une situation de flou et pâtit d’une sémantique à vau-l’eau, au gré des humeurs et des responsables. La citoyenneté fait partie d’un processus général de démocratisation des institutions et de la société où l’objectif primordial est la promotion de l’homme et des valeurs civilisationelles qu’il porte en son sein. Ce sont des droits et devoirs assumés, tels qu’ils sont écrits dans la Constitution. La “charte élus-citoyens” que propose Tayeb Belaïz peut être un début de réflexion sur un dossier qui a consommé tant d’énergie nationale et a été à l’origine de moult malentendus au sein de la société. Mais, n’oublions pas qu’une réflexion a été entamée par huit communes de la Kabylie maritime au milieu des années 2000 et a été couronnée par une formalisation sous l’intitulé de “Charte intercommunale”. Elle a été faite en dehors des structures administratives de l’État. C’est son atout; mais c’est probablement aussi le défaut de sa cuirasse, sachant que tout ce qui ne vient pas des structures officielles est regardé avec suspicion, s’il n’est pas sabordé au premier virage. C’est le sort que subit cette Charte intercommunale. Faudra-t-il peut-être la confronter à la mouture que prépare le département de Tayeb Belaïz pour espérer fertiliser les expériences citoyennes avec les propositions de l’administration? Le jeu en vaut la chandelle dans un contexte où la commune est encore à la recherche de son statut qui lui confèrerait toutes les prorogatives d’une institution de base, élue par les citoyens, et où ces derniers se sentiront les artisans de leur sort dans une République faite par eux et pour eux.
A. N. M.
