“On ne nous facilite pas la tâche”

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En plus du problème ardu de Tidelsine, le directeur de l’Energie et des Mines de la wilaya de Béjaïa évoque, au cours de cet entretien, les difficultés que rencontrent ses services dans la réalisation du programme du raccordement de 50 000 foyers au réseau de gaz de ville, notamment les oppositions de certains citoyens au passage sur leurs champs des canalisations de gaz. Il demande, avec insistances, aux élus locaux, de s’impliquer davantage dans la sensibilisation des citoyens sur ce que prévoit la réglementation en matière d’indemnisations.

La Dépêche de Kabylie : Les habitants des Souk El Tenine et Melbou attendent le gaz de ville depuis 8 ans. Mais dès que l’on entame les travaux, les habitants de Tidelsine, dans la commune d’Aokas, expriment leur opposition au passage des canalisations sur leurs terres, A-t-on trouvé la solution à ce problème aujourd’hui ?

Omar Sebaa : Concernant l’épineux problème de Tidelsine, il y a eu une série de réunions au niveau de la wilaya. Le wali a décidé de faire appel à une commission d’Alger qui s’est déplacée le 23 février dernier, avec à sa tête le directeur général du ministère de l’Energie et des Mines, désigné par le ministre. Et suite à un entretien que nous avons eu au niveau de la wilaya, des spécialistes se sont déplacés le jour même au niveau du site en question, à Aokas. Ils étaient accompagnés par le chef de daïra et le P/APC, en présence des membres du comité de village de Tidelsine. Ils ont visité ensemble le tracé qui leur a été proposé par ces derniers, qui longe un oued. Les membres de la commission ont, ensuite, revu le tracé initial proposé par deux bureaux d’études, le LTPS de Constantine et le TURBOLAB de France. Après un mois, la commission centrale a rendu son rapport à la wilaya, disant que le tracé qui longe l’oued est irréalisable parce qu’il ne comporte que des inconvénients et qu’il y lieu donc de maintenir le tracé initial, moins contraignant. Après avoir pris en considération tous les paramètres du dossier, notamment l’avis de la commission, et comme nous n’avions pas d’autres solutions, il a été décidé la reprise des travaux, à partir du mois de mai, le temps que le GRTG (société de Gestion réseau transport gaz), la compagnie d’engineering de l’électricité et du gaz, ainsi que l’entreprise désignée, se préparent. Les travaux vont reprendre dans la première quinzaine du mois de mai. Nous espérons que les gens de Tidelsine vont revenir à la raison. Parce que la population de trois communes, Souk-El-Tenine et Melbou, dans la wilaya de Béjaia, et Ziama Mansouria, à Jijel, sont, depuis huit, dans l’attente du gaz de ville dans les foyers. Cette opposition porte préjudice à toute la wilaya, dont l’image de marque prend un coup. En ce sens que toutes ces oppositions et toutes ces contraintes créent un climat qui fait fuir les entreprises qui peuvent prendre en charge tout le programme d’alimentation en gaz de ville qui concerne plus de 50 000 foyers.

Justement, pouvez-vous nous donner quelques précisions sur l’avancement du programme des 50 000 foyers, le taux de pénétration de gaz dans wilaya et les oppositions rencontrées ?

Je vous informe que le deuxième avis d’appel d’offres qui concerne les 84 lots, pour plus de 46 000 foyers, est encore déclaré infructueux, après l’ouverture des plis par la SDE. Et ce, conformément au code des marchés publics. Parce que les prix sont jugés exorbitants. Les prix proposés par les entreprises soumissionnaires dépassent, et de loin, l’enveloppe budgétaire. Même problème pour l’électrification rurale où il y a eu deux soumissions infructueuses à l’échelle nationale en 2013, pour la première tranche. La troisième offre, à l’échelle de Béjaia, est également déclarée infructueuse, à cause du prix supérieur à la norme de plus 65 %. Et cela, évidemment, c’est au détriment du programme de la 2e tranche. Parce que l’enveloppe allouée à l’électrification rurale est de 65O millions de DA, et celle du gaz est de 8 890 millions de DA. De plus, il faut ajouter les retards occasionnés par les avis d’appel d’offres. Nos services n’ont jamais travaillé seuls, toutes les communes de la wilaya participent à la délimitation des assiettes et à la programmation des villages à raccorder au réseau de gaz. Et quand le résultat est négatif, il est facile d’imaginer les difficultés que nous rencontrons sur le terrain

Au vu de ces difficultés que vous rencontrez, pouvez-vous préciser quel est le taux de pénétration du gaz de ville dans la wilaya ?

Sincèrement, le taux ne m’intéresse pas, ce n’est que pour les statistiques. Les besoins sont là. Les citoyens ne s’intéressent pas au taux. Le problème de la wilaya de Béjaia est ailleurs. A Béjaia, tout le monde veut avoir le gaz, et en même temps, on ne nous facilite pas la tâche. L’enveloppe financière réservée à Béjaia pour le gaz est de 8 890 millions de DA, ce qui place la wilaya en quatrième position à l’échelle nationale. Mais le problème qui se pose dans réaliser de ce programme est que nous attendons, parfois, une année ou plus, pour que la commune ou la collectivité locale concernée nous envoie les plans. Il ne suffit pas de remettre seulement les plans pour que le gaz arrive. À Bejaia, il arrive qu’on nous envoie des plans sans vérifier leur conformité. Or, il faut des autorisations de pénétration dans les propriétés, publiques ou privées, pour mener des études. La SDE est obligée de lancer des appels d’offres pour choisir le bureau d’études et la société de transport du gaz. Il y a aussi le permis de construire qui est exigé. Il y a toute une procédure à respecter pour arriver à l’appel d’offres et à la désignation des entreprises. Et parfois, la commune concernée par l’opération de raccordement au gaz nous envoie des plans avec des réserves, pour l’indemnisation des propriétaires ou pour décrocher leur accord, alors que c’est à la commune concernée de le faire. C’est tout le monde qui demande le gaz, mais quand il y a un problème, c’est l’administration qui y fait face toute seule. Tout le monde doit s’impliquer, les canalisations de gaz, doivent passer par des terrains, car les gazoducs aériens, ça n’existe pas. La loi est claire, elle ne prévoit que les dégâts occasionnés. C’est-à-dire que si l’on touche à un olivier ou à des récoltes, le propriétaire sera indemnisé mais si une conduite de gaz ou des fils électriques traversent son champ, il ne le sera pas. Le propriétaire pourra éventuellement demander la remise en l’état des lieux, mais jamais d’indemnisation. Les études, en matière de gaz, prévoient plus de 2 200 kms de canalisation dans la wilaya de Béjaia. Pour achever ce programme en trois ans, nous devons réaliser une moyenne de 2 kms par jour. Est-ce qu’avec tous les problèmes que nous rencontrons sur le terrain, les entreprises pourraient relever ce défi ?

La centrale électrique d’Amizour a connu, elle aussi, des oppositions à ses débuts, pour quand prévoyez-vous sa réception et sa mise en service ?

Pour ce qui est de la centrale d’Amizour, qui comprend huit turbines mobiles, sept sont déjà achevées, la huitième est en cours de réalisation. D’ici fin avril, elle sera réceptionnée. Les essais sont concluants et dès qu’il y a un besoin d’énergie, il y aura production et injection sur le réseau. J’ajoute aussi, en ce qui concerne la centrale de Darguina, qu’elle sera cédée à l’ANBT (Agence nationale des barrages et des transferts d’eau). On s’en servira pour l’irrigation. Cette vieille centrale sera remplacée par une autre de substitution, d’une puissance 300 mégawatts, soit presque le double de la centrale mobile d’Amizour qui, elle, a une puissance de 160 mégawatts. Et là nous sommes, avec la société de production d’électricité (SPE), dans de prospection d’un terrain de 3O à 40 ha qui réunirait les critères qu’exige le projet.

Certains citoyens se plaignent, parfois, de la suite défavorable souvent réservée à leur demande de branchements individuels. Qu’avez-vous à leur répondre ?

Je réponds que le budget de l’Etat ne prend pas en charge les demandes d’extension, de rattrapage, de branchement individuel, l’éclairage public ou les déplacements de poteaux. Malheureusement, nous enregistrons, chaque jour, ce genre de demandes. Et chaque demande arrive en trois exemplaires, le premier envoyé par l’intéressé lui-même, le deuxième par l’association du quartier ou du village et le troisième de l’APC. Or, celui qui veut un branchement individuel ou autre, n’a qu’à s’adresser à l’agence SDE la plus proche de son domicile pour un éventuel devis.

Le projet du complexe pétrochimique d’El Kseur, détourné vers Tiaret avant d’être récupéré ne risque-t-il pas de repartir, encore une fois, vers d’autres cieux, vu que sa réalisation tarde à se concrétiser ?

Il faut savoir qu’un complexe pareil, ne se réalise pas du jour au lendemain. Il va coûter des millions de dollars. Sa maturité demande du temps. Il y a des critères à respecter. Des experts ont visité plusieurs terrains et ont retenu celui d’El Kseur. Toutes les informations relatives à ce projet ont été communiquées au groupe Sonatrach. Et les responsables de ce groupe sont en train de mûrir une réflexion, sur tous les aspects du projet.

La mine de plomb et de zinc d’Amizour a fait couler beaucoup d’encre. Les habitants de la région ont manifesté beaucoup d’intérêt, par rapport à ses impacts économiques, mais l’entreprise australienne a, semble-t-il, laissé tomber le projet après avoir exploré le site. Qu’en est-il au juste ?

Tout comme le complexe pétrochimique d’El Kseur, le projet d’exploitation de la mine de plomb et de zinc d’Amizour demande également un temps de maturation. En tout cas, il faut savoir une chose, le projet est toujours d’actualité et il n’a jamais été question d’abandon. L’entreprise australienne et la partie algérienne, intéressées par l’exploitation de la mine, n’ont pas encore déposé leur demande d’exploitation, conformément à la loi 01/1O. Les textes permettent à cette entreprise de faire appel à d’autres sociétés pour l’accompagner dans l’exploitation de la mine. C’est tout le monde qui s’intéresse à ce gisement dont l’exploitation exigera une grande étude d’impact sur l’environnement.

Pour réaliser la pénétrante et la nouvelle cité de Oued Ghir, la wilaya de Béjaia va avoir un grand besoin de sable et gravier. Or, beaucoup de carrières d’agrégats sont fermées par les riverains pour cause de nuisances. Quelle appréciation en faites-vous et quel est le nombre de carrières qui fonctionnent et de celles qui sont à l’arrêt ?

Si la wilaya de Béjaia est classée dernière en matière de pénétration en gaz de ville, elle occupe, cependant, la première place pour ce qui est des fermetures des carrières (rires). Vous savez, le code minier algérien est l’un des plus complets au monde. Il comprend plus de 35 textes d’application. Mais malheureusement, personne n’y fait référence. On se contente de s’opposer, car c’est plus facile. Or, quand on s’oppose, c’est par rapport à une réglementation. Quand il y a des contraintes ou des problèmes de nuisances, l’exploitant doit prendre des mesures pour minimiser les dégâts. Les études d’impact sont faites pour évaluer les dangers et pour trouver les moyens de les atténuer. Il faut critiquer les études d’impact, mais il ne faut pas rejeter systématiquement toute ouverture de carrière d’agrégats. Quant au problème de bruit et de poussières engendrés, un camion vieux de 20ans et mal entretenu produit plus de nuisances qu’une carrière bien gérée. Les études d’impacts sont faites par des bureaux d’études agrées par le ministère de l’Environnement. En cas de problèmes avérés, l’exploitant est tenu de réduire ses charges d’explosifs et sa production journalière, pour ne pas nuire aux riverains. Mais malheureusement, pour ces derniers, c’est plus facile de s’opposer à la carrière que de demander l’application des textes. Il faut savoir que les projets de développement ont un prix.

Vous n’avez pas encore répondu à la question du nombre de carrières en activité et à l’arrêt…

Je vais vous donner ces chiffres, ils sont vraiment insignifiants. Il y a une dizaine de carrières en activité et plus de 16 à l’arrêt. Pour celles à l’arrêt ou qui n’ont jamais fonctionné avant l’attribution du titre minier et la mise en application des décrets 02/65 et 02/66, ces gisements ont tous reçu un avis favorable des collectivités locales. Et le perdant aujourd’hui, c’est celui qui a investi dans ces carrières. Les grands projets de développement, comme la construction du CHU, la nouvelle cité de Oued Ghir ou la pénétrante autoroutière, ont besoin de grandes quantités d’agrégats… 

Interview réalisée par B. Mouhoub

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