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Les chemins de la persuasion

Les Algériens ont vécu une campagne électorale qui n’est pas fondamentalement très différente des campagnes passées, même si les enjeux, s’agissant d’un scrutin présidentiel, sont hautement stratégiques, particulièrement en cette période charnière de la vie de la nation et dans un contexte régional des plus troubles. Depuis que le pluralisme politique a imposé une forme de compétition loin de l’unanimisme de l’ancien parti unique, les discours et les harangues ont multiplié les thématiques, cassé des tabous et redoublé d’ingéniosité pour dire mieux que l’autre, casser les élans de son adversaire et faire passer un message faisant valoir des propositions. À l’occasion de la tournée des candidats, ou de leurs représentants, dans les villes et bourgades d’Algérie, beaucoup de salive a coulé une riche gestuelle est arborée et des crises de nerfs ont été approchées. Cependant, comme le remarquent souvent les sémiologues, le verbe continue à dominer la bataille des explications, et parfois de dénigrements. Les Algériens ont du mal à ne pas puiser dans leur culture orale. Cette dernière est jugée la plus à même de rendre les émotions et d’en créer aussi au sein de l’assistance. Elle fait ressurgir cette relation intime entre les harangueurs et l’auditoire. On a fait bon usage de moult sentences, d’une multitude de proverbes et de diverses circonlocutions pour préciser sa pensée, dramatiser une bévue de ses adversaires, rehausser les propositions du candidat et espérer susciter l’adhésion de l’assistance au programme proposé.  La gestuelle a suivi la parole. Les doigts dessinant de demi-cercles dans l’aire, les sourcils montants, la tête faisant des oscillations devant le micro, les discoureurs ont dépensé une intense énergie pour tenter de convaincre. Il n’y a que dans les passages réglementés à la télévision publique des candidats ou de leurs représentants que la gestuelle se met plus ou moins en veilleuse. La tâche y prend assez fréquemment les contours d’un exercice de lecture sur du papier ou sur un téléprompteur.  Les nouvelles chaînes de télévision privées ont pu ajouter un grain de sel par rapport à l' »austérité » dont a fait preuve la télévision publique. L’humour et le sérieux y ont cohabité. Mais, ce sont là des organes qui sont appelés à développer plus de professionnalisme, sachant que les premiers moments de leurs activités ont été ponctués par des cafouillages et parfois des dérives. À la parole et à la gestuelle, se sont joints quelques symboles, qui sont autant de foyers sémiotiques. Il s’agit principalement de l’habit mozabite, que certains candidats ou leurs représentants ont mis en se rendant à Ghardaïa et à Metlili. C’est là pense-t-on, un autre vecteur de message, jugé à même de susciter l’adhésion aux programmes des candidats à la présidentielle.  Les nouveaux moyens de communication ont aussi été exploités, avec plus ou moins de bonheur. Les réseaux sociaux de certains candidats ont servi de réceptacle à leurs programmes et à leurs commentaires. En revanche, les observateurs auront bien noté que ces candidats ont presque déserté le monde de l’écrit, au sens classique. On sait que, sous d’autres cieux, les candidats à la présidentielle comptent beaucoup sur la presse écrite, laquelle, malgré la concurrence des autres moyens de communication, garde toujours son aura et son poids. On n’a pas, en effet, rencontré une tribune signée par un candidat à l’élection et par laquelle il déclinerait sa vision du pays, de la gouvernance et des grands enjeux d’aujourd’hui. Par contre, on a eu droit à une logorrhée d’écrits, appelés contributions ou opinions, faits en grande partie par des gens qui, en principe, ne sont pas concernés directement par les enjeux des élections, si ce n’est en tant que simples citoyens électeurs. Non, ces « contributeurs » (généraux en retraite ou autres « analystes » s’adjugeant ce titre) offrent aux lecteurs des « alternatives » au scrutin du 17 avril. On ne sait pas si ces papiers s’adressent à « qui de droit » (ceux qui sont couramment appelés les décideurs) ou aux simples lecteurs. Ces derniers, au lieu d’être éclairés sur les enjeux de la présidentielle, sont plutôt appelés à se fourvoyer dans des calculs sibyllins. En tout cas, une partie de l’activité politique, située à la périphérie de la campagne électorale, s’est produite sous forme d’exercice épistolaire, inédit dans les annales algériennes. 

Amar Naït Messaoud

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